David Gressly, le Coordinateur humanitaire régional pour le Sahel était à New York afin de participer au mini sommet qui s’est tenu le 26 septembre, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. A ce jour, seulement 56 pour cent des besoins ont été financés. 18,7 millions de personnes sont actuellement victimes ou risquent d’être victimes d’insécurité alimentaire dans les pays suivants: le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie, le Mali, le Niger, la Gambie, le Sénégal, le nord du Cameroun et le nord du Nigeria. L’UNICEF estime que plus d’un million d’enfants de moins de cinq ans auront à souffrir de malnutrition sévère au Sahel, dont un tiers d’entre eux au Niger. Interview:

Q : Vous vous occupez essentiellement de la crise alimentaire et du déplacement des populations. Diriez-vous que la crise alimentaire s’est amplifiée à cause de la situation sécuritaire au Nord Mali ?
R : Je ne dirais pas que c’est vrai dans tout le Sahel, mais cela l’est pour les endroits ou se trouvent les déplacés et les refugiés. Dans ces endroits, la crise a eu un impact énorme.
Q : A combien évaluez-vous le nombre de personnes déplacées et de refugiées ?
R : On estime qu’il y a 175,000 personnes déplacées au sud du Mali, et en dehors du Mali, il y a environ 250,000 personnes refugiées.
Q : Bon nombre de pays intéressés par le Sahel, par le Mali, prétendent que les autorités maliennes voient d’un bon œil la venue de la CEDEAO. Or, ce que j’entends en provenance de personnes sur le terrain, c’est que c’est faux. Qu’en est-il exactement ?
R : Ce que je peux vous dire c’est qu’au Mali, les personnes que j’ai rencontrées ont surtout mis l’accent sur le dialogue pour parvenir a la paix, et non pas sur une intervention militaire.
Q : Le dialogue entre qui et qui ?
R : Entre les communautés au Nord du pays, je parle des Peuhls, des Touaregs, des arabes et d’autres. Une grande partie de ces personnes est disposée à faire la paix. Même les leaders de la CEDEAO que j’ai rencontrés ont insisté sur le fait qu’on doit commencer par le dialogue, pour voir s’il y a matière à négociation. Nous, en tant qu’humanitaires, c’est ce que nous attendons. Nous pensons qu’un dialogue peut résoudre ce problème.
Q : Comment parler de dialogue, lorsque l’une des parties concernée ne semble pas disposée au dialogue. Par ailleurs, avec les armes qui circulent au Nord Mali, comment pouvez-vous travailler ?
R : On travaille déjà beaucoup dans le nord du pays. Le PAM délivre de l’aide alimentaire pour environ 170,000 personnes par mois. Les ONG sont toujours très actives. C’est possible grâce aux maliens qui sont sur le terrain car ils sont acceptés par les groupes armés au Nord Mali.
Q : J’ai vu un reportage dans lequel on parlait de l’imposition de la charia. Cela vous pose-t-il des problèmes ?
R : Je ne peux pas dire qu’il n’y a aucun problème, mais ce que je dis c’est qu’actuellement, il est possible de travailler. Bien entendu, il faut tenir compte de la situation, mais je dois dire que les ONG ont trouvé un espace humanitaire qui leur permet de continuer leur action. Elles sont capables de vivre sans que les groupes armés ne s’ingèrent dans leur travail. Et pour le moment, cela fonctionne.
Q : J’ai un peu de mal à vous croire. Dans le reportage, on nous montrait à quel point la situation est difficile : les femmes doivent se voiler ; elles n’ont plus le droit de vivre normalement. Même les hommes sont pris pour cibles s’ils ne se plient pas aux règles imposées par les islamistes. La question que je me pose est la suivante: est-ce qu’en se pliant aux exigences de ces groupes armés, on n’est pas dans une acceptation tacite de leurs actions et de qu’il en découle ?
R : Je vais essayer de vous répondre avec précision. Pour le moment, les organisations humanitaires peuvent travailler. Elles doivent, bien entendu, tenir compte de la situation. Néanmoins, personne ne les empêchent de faire leur travail ou essaie de s’immiscer dans la distribution de l’aide alimentaire. Il semble y avoir une volonté de nous permettre de continuer à distribuer cette assistance. Ce n’est pas toujours facile parce que nous devons être particulièrement attentifs et prendre des précautions. Il nous faut parfaitement connaitre les gens sur le terrain, faire confiance aux locaux. De nombreuses ONG travaillent au Nord du Mali en ce moment. Elles le font sans publicité, en faisant profil bas. Pour le moment, c’est bon. Depuis avril, nous avons vu une augmentation progressive de notre capacité à fournir de l’aide.
Q: Vous n’avez pas répondu à ma question : en se pliant aux exigences des groupes armés, ne les cautionne-t-on pas?
R: Nous ne leur demandons pas la permission de travailler. Nous délivrons de l’aide aux populations qui en ont besoin. La circulation est fluide entre le nord et le sud. Nous pouvons engager des transporteurs. Ils prennent les précautions qui s’imposent tout au long du chemin mais ils délivrent l’aide. La situation est toujours instable à cause de nombreux groupes qui opèrent sur le terrain, mais nous aidons les populations sans passer par l’un de ces groupes.
Q : Craignez-vous que la situation ne se détériore ?
R : Une intervention militaire aurait un effet désastreux sur la situation qui se dégraderait rapidement. La plupart des réfugiés auxquels j’ai parlé m’ont dit que la raison pour laquelle ils ont quitté le Mali, c’est la violence et l’idée de cette intervention militaire. C’est aussi à cause du manque d’alimentation, entre autres causes. Les marchés au nord du pays sont fort bien achalandés. Certaines denrées sont moins chères au Nord. Le problème, c’est que l’économie s’est effondrée, et qu’il y a un manque de moyens qui empêche la population de s’approvisionner. Les hôpitaux continuent à fonctionner en grande partie grâce a l’assistance apportée par la Croix-Rouge qui, je dois le dire, fait un très bon travail. J’étais en Algérie il y a peu et je me suis entretenu avec des refugiés. L’un d’eux m’a dit être en contact avec son frère à Tombouctou. Il est hospitalisé et est, parait-il, très bien soigné. Tout fonctionne ou presque.
Q : Ce qui ne fonctionne pas, c’est la liberté d’expression.
R : C’est un autre problème, mais sur le front humanitaire, tout fonctionne pour l’instant. Bien entendu, s’il y a une intervention militaire ou s’il y a un conflit entre les groupes armés, cela peut changer. Nous sommes en train de nous préparer pour le pire des cas.
Q: Redoutez-vous cette intervention militaire ?
R : On doit prendre en considération cette possibilité, que ce soit une intervention militaire de la CEDEAO ou une intervention différente, voire un conflit entre des groupes.
Q : Les autorités maliennes auraient commandé et payé des armes qui sont toujours bloquées en Guinée et par Abidjan. Ne pensez-vous pas que les autorités maliennes préféreraient se défendre elles-mêmes, sans l’aide de la CEDEAO ?
R : J’ai lu la même chose, mais je ne peux pas commenter. Pou ce qui me concerne, l’essentiel se porte sur l’aspect humanitaire et sur la planification qu’on doit faire en prévision d’une intervention militaire.
Célhia de Lavarène, Nations Unies, New York, Septembre 2012