Basile Ikouebe, le Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération du Congo, par Céthia de Lavarène

Basile Ikouebe, le Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération du Congo, a rappelé devant les participants de la 67e Assemblée générale de l’ONU, que son pays préférait la médiation et le dialogue au bruit des bottes. Basile Ikouebe fut le représentant permanent de son pays de 1998 à 2007. par Céthia de Lavarène

Q : Monsieur le ministre, dans votre discours vous avez déclaré que votre pays était préoccupé par la situation en République Démocratique du Congo. Pouvez-vous préciser votre pensée ?
R : Nous sommes, comme les autres voisins, préoccupés par ce qui se passe dans ce pays frère. Vous connaissez la situation géographique de nos deux pays : ce sont les capitales les plus rapprochées du monde. Il suffit qu’une étincelle soit allumée à Kinshasa pour que Brazzaville s’enflamme. Par conséquent, nous veillons à ce que la situation se stabilise là-bas. C’est une question de sécurité nationale. La RDC à neuf voisins et ce qui se passe à l’est peut paraitre lointain. -Il y a plus de deux mille km entre Kinshasa et Brazzaville, mais, on a vu en 1997 que lorsque les forces du défunt président Kabila avançaient vers Kinshasa, des refugiés rwandais ont quitté l’est, à pied parfois, pour venir s’installer à Brazzaville. Certains y sont encore. Nous ne pouvons pas laisser la RDC, un pays grand, puissant, sombrer dans la violence. Pour l’ensemble des pays des Grands Lacs, il faut stabiliser la situation. Il faut faire jouer les mécanismes de prévention et de règlement des conflits. Malheureusement pour le moment, cela n’a pas donné beaucoup de résultats.

Q : Il y a quelques années, la Région des Grands Lacs était au centre de toutes les discussions et de toutes les préoccupations. Qu’en est-il aujourd’hui ?
R : Il y a eu une conférence en 2004 à laquelle j’ai assisté en tant que représentant permanent auprès de l’ONU. En 2006, nous avons signé un pacte régional sur la paix, la sécurité et le développement. Tous les mécanismes de gestion de la région ont été mis en place. Le problème, comme cela arrive souvent, c’est l’application. Il y a aussi des problèmes d’ingérence étrangère. Quand on dit ‘ingérence étrangère’, on pense tout de suite au voisin immédiat mais cela peut s’appliquer à des ingérences lointaines. Vous savez, la RDC est un grand pays qui a le malheur de regorger de ressources naturelles. Votre téléphone portable par exemple, provient, en partie, de minerais qui sont produits là-bas. Saviez-vous que la bombe atomique qui a été larguée sur Hiroshima, avait été produite avec de l’uranium venu de la RDC. C’est un pays dont les ressources sont stratégiques et elles intéressent non seulement les gouvernements mais aussi les multinationales. C’est un monde qui a intérêt à ce que personne ne contrôle quoi que ce soit. C’est une jungle qu’on veut instaurer d’où notre effort collectif pour faire en sorte que ces groupes armés, ces multinationales, tout ceux qui ont des appétits voraces ne trouvent pas dans ce pays, un terreau.

Q : Justement, parlons des appétits des uns et des autres. Depuis quelque temps, on a l’impression que la Chine fait main basse sur l’Afrique. Qu’en pensez-vous ?
R : Je vous laisse la responsabilité d’un tel terme et de son utilisation. C’est comme si vous me disiez que l’occident fait main basse sur l’Afrique. Personne ne fait main basse aujourd’hui sur l’Afrique. Ceux qui faisaient main basse, ce sont ceux qui nous ont envahis au 19e siècle sans notre accord. Les colonisateurs. Ceux qui ont pris des cartes, qui ont redessiné les contours de notre continent. Aujourd’hui, nous avons des partenariats que nous avons cherchés. Nous avons commencé avec la Chine -que tout le monde maudissait à l’époque, dans les années 60. Nous avons été parmi ceux qui avons voté pour que la Chine trouve sa voix au sein de cette assemblée. Nous avons choisi nos partenaires en même temps que nous travaillons avec les partenaires occidentaux traditionnels. Nous avons saisi l’opportunité de travailler avec la Chine parce qu’elle ne vient pas nous imposer de pré-conditions. Elle nous respecte. Les autres viennent chez nous et nous insultent : « les africains sont corrompus, ils ont le sida. » Nos ressortissants ne sont pas les bienvenus dans ces pays, bien que nous fassions des affaires avec eux. Nous sommes traités comme si nous étions encore à l’époque de je ne sais quel système colonial. Les chinois ne se mêlent pas de ce qui se passe chez nous. Ils ne font pas toute une littérature pour dire que nous sommes malades, que nous sommes sales ou je ne sais quoi.

Nous voulons mener notre pays –en 2015- au statut de pays émergeant et pour le faire, nous avons besoin de bâtir les bases du développement : les infrastructures de transport, de communication, les routes, les usines et l’énergie. Nous voulons construire des hôpitaux. Les chinois nous disent : « nous avons la capacité de le faire. Nous pouvons vous y aider. » En juillet, nous avons participé à un forum de partenariat avec la Chine. Les autorités chinoises ont promis vingt milliards de dollars pour l’Afrique et ce pour les 3 prochaines années. Ce ne sont pas des dons, bien qu’il y ait aussi une part de dons, mais les prêts se font à des conditions avantageuses et parfois, sans intérêt. Nous n’avons pas envie de nous endetter davantage. Lorsque nous obtenons un prêt sur 25 ans à 1% d’intérêt, -ce qui nous permet de construire un barrage hydro-électrique, je ne vois pas comment la Chine ferait main basse sur les ressources puisque le barrage nous appartient.

On veut acheter notre pétrole, mais il est produit par les italiens, les français, les américains. Je vous le demande, lorsque les français, les italiens, les américains produisent, ne font-ils pas main basse ? Pourquoi accuse-t-on les chinois ? C’est ce qu’on appelle à l’ONU le double standard. C’est la loi du plus fort.

Q : Que se passe-t-il dans votre pays au plan économie ?
R : Nous avons engagé un ambitieux programme de développement qui s’appuie sur la modernisation et l’industrialisation. Il est vrai que nous revenons de loin, et nous voulons profiter de la paix retrouvée depuis longtemps. J’ai parlé tout à l’heure d’une période pendant laquelle le Congo était plongé dans des guerres civiles –dans les années 90- comme beaucoup de ses voisins. C’est terminé. Nous avons la paix et la sécurité et nous avons signé tous les accords qu’il faut avec la banque mondiale et le fonds monétaire. Aujourd’hui, nous avons débloqué beaucoup de ressources qui nous permettent de financer des programmes de développement dans des secteurs comme la santé, l’éducation, l’eau et l’agriculture. L’année dernière, nous avions un taux de croissance à deux chiffres. Maintenant, avec la baisse momentanée de la production du pétrole et d’autres facteurs, nous dépassons les 5% de taux de croissance. Quand vous regardez ailleurs, parfois c’est zéro % de croissance. Nous ne pouvons pas nous plaindre. Nous voulons profiter de cette embellie pour accélérer le développement de notre pays.

Q : Vous qui connaissez bien l’ONU, que pensez-vous de cette 67e cession de l’Assemblée générale. J’ai l’impression qu’elle manque de tonus, qu’elle est terne.
R : Elle est ordinaire et je pense qu’elle se tient de façon ordinaire. Nous ne sommes plus à l’époque ou un dirigeant comme Kroutchev tapait sur la table avec sa chaussure. Aujourd’hui il n’y a plus vraiment de confrontation. Ce que les journalistes attendent, ce sont des temps forts, des répliques qui font mouche, des attaques. Il y en a encore, mais mesurés. Tout le monde attendait le président Ahmadinejad. Il a défendu les positions de son pays qui n’ont pas variées, mais de façon tout à fait modérée, responsable. Je crois qu’on ne vient pas ici pour faire la guerre. On y vient pour défendre la cause de son pays en respectant les autres. Ici, c’est la concertation, et si vous voulez être écouté, compris, il faut respecter les autres. C’est ce que j’appelle une assemblée digne. On peut toujours souhaiter des effets de manche, mais à quoi cela servirait-il ? Il est vrai que la presse s’en saisit, mais c’est un épiphénomène. Il faut convaincre les autres et vous ne pouvez les convaincre qu’en acceptant les différences. C’est ainsi qu’on peut engager le dialogue. Si vous me traitez de tous les noms d’oiseaux, vous pouvez avoir raison mais je n’adhérerai pas à votre positon.

Q : A propos de la réforme du Conseil de sécurité, combien aimeriez-vous voir de sièges réservés à l’Afrique et pensez-vous que cette réforme verra le jour dans un avenir proche ?
R : Nous demandons des sièges de membres permanents avec droit de veto, des sièges de membres non-permanents. Nous en demandons au moins cinq. Lorsque vous regardez la configuration du monde d’aujourd’hui, -nous n’étions pas présents lors de la création des Nations Unies. J’ajouterais même que c’est normal qu’on nous ait oubliés. Le monde a évolué, et les deux tiers des sujets traités par le Conseil de sécurité sont africains et le sont en l’absence des principaux acteurs. Quand les grandes décisions sont prises, -cela se déroule hors conseil. Lorsqu’on y vient, -nous avons trois sièges-tout a déjà été préparé. Nous pouvons nous opposer mais cela ne change pas l’équilibre des forces. Tandis qu’un seul membre permanent qui s’oppose aux 14 autres, il gagne. C’est l’iniquité et l’injustice historique. On peut réparer cela, et nous pouvons demander 5 sièges. Il y aura toujours quelqu’un pour objecter que c’est beaucoup trop. Commençons par accepter le principe de la réforme. Ensuite, nous verrons combien de sièges peuvent être attribués à l’Afrique. Mais cela ne concerne pas seulement l’Afrique : l’Amérique latine, est absente. Un pays comme le Brésil, aujourd’hui c’est une puissance. Et l’Asie, l’Inde, le Japon ? Il est vrai l’Afrique a une position de continent et une position commune. Les autres, ce sont des états. Ils demandent un siège pour eux-mêmes. Le Congo, lorsqu’il revendique des sièges, c’est pour le continent. Il faut reformer, après nous verrons qui peut siéger. Y croit-on ? Mon président dit souvent : « le plus long voyage commence toujours par le premier pas qu’on fait. » Alors faisons le premier pas.
Célhia de Lavarène, Nations Unies, New York, Septembre 2012