
ALPHA réalisé par Julia DUCOURNAU – France, par Véronique Vesval.
On n’avait pas trop supporté l’avant-dernière palme d’or Métane, mais cette fois, avec ALPHA, c’est bien autre chose. Toujours spectaculaire, ce film dégage plus de profondeur de sentiments. Julia DUCOURNAU est brillantissime. La musique de Beethoven et de Litz ou encore une œuvre contemporaine conviennent à la hauteur du niveau du film. On retrouve cette musique dans le film ALPHA. Du vrai cinéma ! Esthétique, cinématographique et humanité révélées par la caméra habile. Julia DUCOURNAU passe au scalpel des milieux qu’elle connaît à la perfection. Je souhaite que le film l’emporte cette Palme d’Or ! Il le mérite. C’est très possible d’être deux fois récompensé par la PALME D’OR du Festival du Film de Cannes.
Nous avons d’énormes problèmes contemporains de société qui ont été mal résolus par cette même société. En France, on se heurte à la densité de population dans les hôpitaux en cas de pandémie et partout dans le monde où le mal-être s’est installé. Le monde n’a rien à voir avec l’insoutenable légèreté de l’être d’autrefois, car c’est avec l’insupportable difficulté de vivre, en total combat, dans une société malade que doivent grandir les enfants. Les adolescents ressentent en silence les difficultés lourdes que leur famille reçoit violemment, quotidiennement, alors que les préadolescents pensent d’eux-mêmes qu’ils sont encore des enfants dans une société qui encaisse frontalement le désordre. C’est le chaos dans la société. ALPHA a treize ans, elle se plaint à sa mère et lui dit « je ne suis qu’une enfant », ce qui veut dire qu’elle ne supporte pas la charge mentale que la société et les problèmes des adultes lui soumettent et lui imposent. Sa mère ne lâche rien et elle a raison d’être énergique. C’est à l’adolescente de devenir raisonnable et adulte. En cas de pandémie, c’est l’enfer. Le virus du sida fait des ravages, à l’hôpital. Il mine les relations entre lycéens, à l’école. Alpha est une adolescente difficile et fait des bêtises car pour pousser, elle se débat mais elle est intrépide et vulnérable alors qu’elle a une mère dévouée à l’hôpital, mère de famille médecin et sœur d’un demi-frère à problèmes, suicidaire.
Un beau jour Alpha revient chez elle avec un tatouage au bras, en pleine pandémie, ici le sida, comme pandémie, cela aurait pu être le virus du Covid, mais il y a eu le vaccin. Le sida et ses répercussions sont donc l’objet d’étude de la réalisatrice. Ce virus touche tout le monde, y compris le gentil professeur d’anglais comme Alpha. Ils seront tous deux ostracisés même s’ils n’ont pas été infectés, car le problème est le regard des autres. La famille est importante comme valeur pour la mère et elle se bat héroïquement pour tous, pour la préserver. Ceci se passant dans le milieu des Français d’origine maghrébine, la grand-mère et son mode de vie d’arrière-garde ne plaisent guère à Alpha qui n’aime pas non plus l’oncle qui est un drogué. Elle n’est pas trop acceptée par ses camarades de classe à cause du doute qui subsiste à la suite du test du sida que sa mère l’a incitée à faire après son tatouage. C’est le problème des adolescentes de s’intégrer à la société, et elles ont du mal et c’est bien étudié.
Finement, la réalisatrice rapproche l’adolescente de la conscience de la réalité, nous montre comment elle finit par accepter l’amour de sa mère, l’idée de la famille, mais il sera déjà trop tard car ils seront tous emportés par le mauvais « vent rouge », expression de la grand-mère qui n’a pas de notions médicales et qui tentait d’expliquer avec fatalisme les malaises de son fils alors qu’il se droguait. La terre rouge qui s’envole par temps de vent est celle du Maghreb ; c’est en fait dû au sirocco. Dans le film, cette poussière est le symbole de la catastrophe à laquelle on succombera, symbole aussi du caractère éphémère de l’existence humaine. On disparaît. Les êtres chers disparaissent, comme emportés dans une tornade.
Les sculptures de terre glaise de nos corps, marbre lorsqu’ils ont la rigidité cadavérique, s’effritent comme de la terre glaise déshydratée dont les morceaux sont emportés définitivement par le vent. Julia DUCOURNAU étudie la société actuelle face à la mort qui rôde, les gens qui se débattent surtout quand ils sont vulnérables. J’ai adoré ce film empreint d’humanité et de réalisme froid, d’humour parfois. Julia DUCOURNAU est incisive dans son approche des choses humaines et de la mort. C’est sa façon originale de montrer sa compassion et le respect envers le courage des gens ordinaires.
Véronique Vesval.
- Cannes, sélection officielle
78e édition du Festival du Film de Cannes 2025.