
Une vision panafricaine ambitieuse Interview avec Dr Mohamed Lamine Dramé candidat guinéen au poste de Directeur du bureau de l’OMS en Afrique.
Dr Mohamed Lamine Dramé est guinéen, professionnel de santé publique au parcours remarquable. Ancien boursier de l’État guinéen, il a obtenu son doctorat en médecine à l’Université de La Havane (Cuba), avant de poursuivre ses études postuniversitaires en Europe.Il est titulaire de deux maîtrises en santé publique :
1- Une en bio-statistique/épidémiologie à l’Université Catholique de Louvain (Belgique)
2- Une autre en organisation et gestion des systèmes de santé à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers (Belgique)
À ce solide bagage s’ajoute un doctorat académique (PhD) en Health Policy & Global Health de la Nova Universidade de Lisboa (Portugal), et un certificat en diplomatie et négociation pour le développement obtenu à Cork, en République d’Irlande.
Avec plus de 35 ans d’expérience, il a occupé des postes de responsabilité dans son pays en Guinée aux niveaux opérationnels (clinique et gestion des services de santé) et à l’international. Il a notamment travaillé pendant 21 ans dans la coopération internationale, auprès de grandes institutions comme l’OMS (siège à Genève), la coopération allemande (GIZ), l’agence belge de développement (Enabel), et avec des partenaires majeurs bilatéraux et multilatéraux comme la Banque mondiale, l’Union européenne, la BAD, GAVI, ou encore le Fonds mondial. Sa carrière professionnelle est enrichie par une longue expérience dans ses activités académiques commencées à l’Université de Heidelberg/Allemagne comme chercheur et enseignant et qui a continué dans d’autres universités européennes Lisbonne/Portugal) et africaines (Bénin, Guinée).
Depuis 2018, il est revenu en Guinée où il a fondé le bureau d’étude “SUCCESS-IN-AFRICA” basé à Conakry et appuie les pays africains et leurs partenaires au développement dans toutes les régions d’Afrique. Il est aussi président de l’ONG “GUINÉE SUCCESS” et continue ses activités académiques dans diverses universités.
Dr Dramé est polyglotte. Il parle et écrit couramment le français, l’anglais, le portugais, l’espagnol et lit l’allemand. Il parle aussi trois langues africaines (parlées en Afrique de l’Ouest et du Centre).
Q : Votre candidature au poste du bureau régional de l’OMS intervient à un moment décisif de l’histoire de cette organisation avec la réduction drastique de la contribution des États-Unis. Que comptez-vous faire pour atténuer l’impact des conséquences de cette coupe budgétaire sur le problème de santé en Afrique ?
Cette coupe budgétaire est une opportunité pour développer un New Deal pour le financement de la santé en Afrique
Les chiffres sont sans appel :
- L’aide publique au développement pour l’Afrique est passée de 81 à 25 milliards USD entre 2021 et 2025.
- Seuls deux pays respectent l’engagement d’Abuja en consacrant 15 % de leur budget à la santé.
- 30 % des dépenses de santé en Afrique dépendent encore de financements extérieurs instables.
Cette réduction drastique de l’aide pourrait provoquer des millions de décès supplémentaires. Déjà, les programmes les plus affectés par l’arrêt brutal des financements américains touchent des domaines vitaux : santé maternelle et infantile, VIH, paludisme, et réponse aux urgences sanitaires.
Selon l’OMS, cinq pays africains pourraient manquer de traitements antirétroviraux dans les mois à venir, conséquence directe des coupes opérées par l’USAID. Un rapport publié dans The Lancet prévoit que si les réductions d’aide se poursuivent (jusqu’à 24 % en moyenne), cela pourrait entraîner entre 4 et 10 millions de nouvelles infections à VIH, et entre 770 000 et 2 millions de décès supplémentaires d’ici 2030, affectant principalement l’Afrique subsaharienne et ses populations les plus vulnérables.
Je propose un Pacte pour la santé africaine, fondé sur :
- L’augmentation du financement national pour la santé ;
- Des mécanismes innovants, transparents et mixtes (diaspora, fiscalité, partenariats) ;
- Une mobilisation forte du secteur privé autour de la production locale, des chaînes d’approvisionnement, de l’électrification et du numérique.
À cela, j’ajouterai des mécanismes alternatifs de mobilisation de fonds adaptés au contexte africain, notamment :
- Des plateformes de financement participatif (crowdfunding) ciblées sur des initiatives régionales à fort impact ;
- Des obligations d’impact santé (Health Impact Bonds), où les investisseurs sont remboursés selon les résultats de santé obtenus ;
- Des programmes de dons récurrents, mobilisant la diaspora et les sympathisants internationaux via des outils digitaux ;
- Des partenariats stratégiques avec des entreprises autour de produits co-brandés ou campagnes sociales solidaires ;
- Des opportunités de mécénat nominatif (naming) pour la construction ou l’équipement d’infrastructures de santé ;
- Une campagne digitale panafricaine de sensibilisation et de collecte de fonds intégrée aux plateformes sociales ;
- L’organisation d’événements communautaires à fort impact – tels que des marathons, matchs de football ou concerts solidaires – avec la participation de grandes figures du football et de la musique africaine et de leurs amis et homologues internationaux. Les revenus issus de la billetterie et du sponsoring seraient intégralement reversés aux programmes de santé locaux ou régionaux.
Enfin, nous devons attirer les milliardaires africains à investir dans la santé, à travers une initiative continentale à double impact : retour social et opportunités économiques. Je proposerai un cadre incitatif régional pour l’investissement privé africain dans :
- Les unités locales de production de médicaments, vaccins et diagnostics ;
- L’équipement d’hôpitaux et de centres de santé communautaires ;
- La modernisation des infrastructures critiques (énergie, stockage, transport de produits médicaux).
Ce cadre reposera sur un mécanisme de financement mixte public-privé, où les contributions philanthropiques ou commerciales des grandes fortunes africaines donneront droit à :
- Des avantages fiscaux dans leurs pays respectifs (les ministères des finances),
- Une reconnaissance institutionnelle (via un programme OMS de mécènes de la santé),
- Et des retours sur investissement indexés sur les gains d’efficacité ou les économies réalisées par les systèmes de santé.
Une initiative spéciale « Santé & Capitaux Africains », co-portée par l’OMS-Afrique, l’Union Africaine et les centres d’investissement, pourrait fédérer ces grands acteurs économiques autour d’un plan quinquennal structurant pour la santé.
Ces initiatives seront coordonnées via une plateforme régionale OMS de mobilisation des ressources, transparente, traçable et ouverte aux contributions multiformes. Il s’agit non seulement de compenser la baisse de l’aide, mais de bâtir une culture africaine de co-investissement durable en santé.
Nous devons faire de la santé un investissement de développement, et non une charge.
Q : Quelles sont vos stratégies pour éradiquer les pandémies qui affectent actuellement le continent africain ?
Je m’engagerai à construire des systèmes résilients et à protéger les services essentiels
Les crises sanitaires, climatiques ou humanitaires imposent des systèmes de santé robustes, capables d’assurer la continuité des soins même en temps de crise. Je défendrai la protection des personnels de santé et renforcerai les capacités opérationnelles des pays pour prévenir, répondre et se relever efficacement. A cet effet, je travaillerai à renforcer les infrastructures sanitaires, notamment dans les zones rurales. Je m’investirai dans la digitalisation des systèmes de santé, à travers l’intégration des Technologies de l’Information et de la Communication -TIC, de la e-santé et d’un cadre régional pour l’intelligence artificielle. Je contribuerai à renforcer les capacités de détection et de réponse rapide, en coordination avec l’Union Africaine, le Centre de contrôle des Maladies de l’Afrique et l’OMS. Je m’engagerai à intégrer les enjeux climatiques dans les politiques sanitaires et à former le personnel à la gestion des pathologies climato-sensibles.
J’accompagnerai les pays à assurer la continuité des services et la préparation de leurs systèmes de santé à cet effet : Des systèmes de santé robustes, résilients et bien préparés contribuent à prévenir et à atténuer les situations de crise et à répondre à toute une série d’urgences, allant des catastrophes naturelles et des menaces épidémiques aux catastrophes liées au climat et aux crises humanitaires complexes. Pour des raisons de santé et de cohésion sociale, il est crucial de renforcer les capacités de planification et d’exploitation nécessaires pour maintenir des services de santé fonctionnant régulièrement, même dans des contextes difficiles. Une question connexe particulièrement préoccupante est celle de la construction d’un consensus social et politique sur la protection de la sécurité du personnel de santé dans les contextes de crise.
Former le personnel de santé de l’avenir sera l’une des stratégies d’appui : la Région s’attachera à mettre en œuvre le consensus africain sur la nécessité d’investir plus intelligemment et durablement dans le personnel de santé. Ces investissements doivent compenser la pénurie et le sous-investissement actuels de la main-d’œuvre, ainsi que la manière dont les attentes des sociétés africaines en voie de modernisation façonnent les profils du futur personnel de santé.
Q: Avez-vous l’espoir pour atteindre les ODD d’ici 2030 dans le domaine de la santé en Afrique.
Ces dernières années, de grands progrès ont été réalisés dans l’amélioration de la santé publique. Sur 200 pays, 146 ont déjà atteint ou sont en passe d’atteindre la cible de l’objectif de développement durable relative à la mortalité des enfants de moins de 5 ans. Un traitement efficace contre le VIH a permis de réduire de 52 % le nombre de décès liés au sida dans le monde depuis 2010, et au moins une maladie tropicale négligée a été éliminée dans 47 pays.
Toutefois, les inégalités en matière d’accès aux soins de santé persistent. La pandémie de COVID-19 et d’autres crises ont entravé les progrès vers la réalisation de l’objectif 3. Les vaccinations infantiles ont connu la plus forte baisse depuis trois décennies, et les décès dus à la tuberculose et au paludisme ont augmenté par rapport aux niveaux d’avant la pandémie.
Les objectifs de développement durable sont le reflet de l’engagement audacieux de mettre fin aux épidémies de sida, de tuberculose, de paludisme et d’autres maladies transmissibles d’ici à 2030. À terme, il s’agit de parvenir à une couverture sanitaire universelle et d’assurer l’accès de tous à des médicaments et vaccins sûrs et abordables.
Pour surmonter ces revers et remédier aux lacunes de longue date en matière de soins de santé, il est nécessaire d’investir davantage dans les systèmes de santé afin d’aider les pays à se redresser et à se prémunir contre les futures menaces sanitaires.
C’est pourquoi j’en appelle à tous les acteurs « détenteurs d’enjeux » pour développer un New Deal pour le financement de la santé en Afrique mais aussi à repenser nos politiques de développement socio-économique en intégrant les conséquences des décisions des partenaires au développement de l’Afrique. L’architecture de l’aide au développement a changé ; les pays africains doivent saisir cette situation comme une opportunité pour relancer leurs politiques de développement socio-économiques en vue d’atteindre les cibles de l’objectif 3 des ODD d’ici 2030.
La vision, la politique et les stratégies que je propose à la région Afrique de l’OMS seront le socle de mon action pour accompagner notre continent pour l’accès aux services de santé essentiels d’ici 2030.
Votre dernier mot si vous êtes élu ?
Notre génération n’a pas le droit de rester passive. Les peuples africains nous regardent. Ils attendent de nous des résultats, pas des discours. Je ne promets pas de perfection aux pays africains, mais je promets une énergie sans faille, un engagement sincère, une écoute constante. Et surtout : une action collective pour faire de l’OMS-Afrique une institution à la hauteur des enjeux.
En votant pour moi, les pays africains auront fait le choix d’un leadership enraciné, expérimenté, et tourné vers l’action.

Dr Mohamed Lamine Dramé