Heidi à l’UNESCO !

Heidi à l’UNESCO !

Heidi vient d’entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO ! Comment expliquer que l’histoire toute simple de cette petite fille des Alpes suisses inventée en 1880 par la Zurichoise Johanna Spyri soit devenue non seulement un mythe helvétique, mais également un mythe universel qui a conquis le monde et avec lui, l’UNESCO ? Essayons de comprendre.

Créée en 1945 à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture a évolué constamment, mais toujours dans le but de protéger les droits de l’homme, les libertés fondamentales et le patrimoine de chaque culture.

Le déplacement du temple d’Abou Simbel en 1968 pour le sauver de la montée des eaux du Lac Nasser aura marqué les esprits par son caractère spectaculaire. Mais la liste est infinie, des milliers de monuments, de l’Alhambra de Grenade au Mont-Saint-Michel en passant par la Grande Muraille de Chine ou Tombouctou. Le patrimoine est aussi naturel (le Lavaux en Suisse, le Grand Canyon, les fjords de Norvège, pour ne donner que quelques exemples). Reste le patrimoine « immatériel » comme l’art de la poterie, la fauconnerie, les cérémonies traditionnelles et même le café turc et l’alpinisme. Et Heidi ? Elle intègre le registre international Mémoire du monde du patrimoine documentaire permettant aux archives, aux manuscrits, aux éditions historiques, aux documents et aux traductions de Heidi d’entrer dans cette catégorie.

Pendant six ans, le vice-directeur de la Fondation Martin Bodmer à Genève Cologny), Nicolas Ducimetière, a travaillé pour arriver à ce résultat. Étonnant contraste entre l’une des plus prestigieuses bibliothèques du monde conservant entre autres de précieux manuscrits de l’Antiquité et les premières éditions de grands classiques, et l’univers de notre petite fille des Alpes.

Si Heidi est entrée à l’UNESCO, c’est tout d’abord parce qu’elle est universelle. Chacun peut se retrouver dans cette incarnation de la joie de vivre et du retour à la nature. À la fin du 19e siècle, les histoires de petits enfants malheureux, orphelins et maltraités émouvaient les lecteurs. Spyri, Dickens, Hugo, la Comtesse de Ségur et bien d’autres ont su leur rendre hommage pour sensibiliser les lecteurs. Enfin on s’intéressait aux enfants, seulement considérés autrefois comme de « petits adultes » sans histoires. Et s’ils sont souvent malheureux c’est que la nouvelle société industrielle les exploite dans les usines ou dans les mines et que l’éducation et la pédagogie de l’époque sont avant tout punitives. Si Heidi ne connaît pas le monde du travail, et n’est maltraitée que par la gouvernante des Sesemann à Francfort, Mademoiselle Rottenmeier, elle est bien orpheline et ballotée d’un milieu à l’autre. Mais elle résiste, s’adapte, toujours avec une énergie positive. C’est un exemple. Pourtant, quasiment kidnappée par sa tante Dete pour l’emmener en Allemagne afin de jouer le rôle de dame de compagnie pour Klara Sesemann, une petite fille handicapée, Heidi tombe en dépression et devient somnambule. Pour la sauver, il faut la ramener dans ses montagnes auprès du grand-père. Miracle de la santé retrouvée. Autre miracle, Klara, qui lui rendra visite sur l’alpe, retrouvera l’usage de ses jambes grâce au bon air alpin et au lait de chèvre. Message écologique qui résonne plus que jamais. Mais grâce aussi au Bon Dieu, car Heidi a appris à prier grâce à la grand-mère de Klara. Ce dialogue avec le Ciel à travers la nature parle à toutes les religions.

Le succès et la popularité de Heidi sont dus également aux innombrables productions littéraires et cinématographiques qui ont prolongé indéfiniment la vie du roman. Des suites peu scrupuleuses, que nous devons au Lausannois Charles Tritten, ont permis à Heidi de grandir, de devenir mère puis grand-mère, affadissant la belle plume de Spyri et faisant de Heidi un cliché de la bonne Suissesse propre en ordre et patriote. Au cinéma Heidi ressemble à une poupée avec Shirley Temple ou à une Tyrolienne à tresses blondes alors qu’elle avait les cheveux bruns, courts et frisés dans le roman. Les produits dérivés vendus dans les supermarchés nous font croire que nous buvons le même lait que la petite fille. C’est dire que la saga ne meurt jamais, c’est un éternel retour. Mais c’est surtout un dessin animé japonais produit en 1974 par Isao Takahata qui a permis à cette histoire de trouver un nouveau souffle en entrant dans tous les foyers. Ses 52 épisodes ont donné un visage presque définitif à la petite héroïne.

La heidimania a envahi le Japon et le monde entier. Heidi n’appartient plus seulement à la Suisse et à son auteure, ce qui est le propre des mythes. Aujourd’hui, les touristes nippons, européens, du Golfe et d’ailleurs se pressent au Heididorf au-dessus du village grison de Maienfeld, où l’on a inventé une maison de Heidi, des touristes à la recherche de ce personnage de fiction qui est pourtant devenu si réel. Car beaucoup de visiteurs et de curieux posent toujours la même question : Heidi a-t-elle existé ?

Heidi est universelle, car elle appartient à tous les peuples du monde, aux petits et grands lecteurs du roman ; elle est leur enfant, un enfant qui n’aurait jamais grandi, l’enfant qu’ils auraient peut-être rêvé d’être, et en cela elle méritait bien d’entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Jean-Michel Wissmer, auteur de Heidi, Enquête sur un mythe suisse qui a conquis le monde, Genève, Metropolis, 2012.