Murillo et les légendes de Séville
- par Jean Michel Wissmer
Les églises et les musées de Séville abritent de nombreuses œuvres de Bartolomé Estebán Murillo (1617-1682), un peintre qui a fait toute sa carrière dans cette magnifique capitale de l’Andalousie, riche de légendes.
Très tôt orphelin de ses parents Murillo fut recueilli par un chirurgien-barbier, un métier qu’exerçait également son père. Cette curieuse association – qui aimerait être opéré par son barbier ? – était pourtant courante dans l’Espagne du XVIIe siècle. Rappelons que c’était également le métier du père de Cervantès qui, en hommage à son père ou par dérision, affublera son don Quichotte d’un plateau à barbe en lieu et place d’un heaume. Autre point commun : comme Cervantès, Murillo souhaita partir pour les Indes en quête d’une vie meilleure et de nouvelles opportunités, mais pour l’un comme pour l’autre, le projet ne se réalisa pas; heureusement d’ailleurs, car nous serions alors orphelins de Don Quichotte.
Le tuteur barbier encouragera la carrière artistique du jeune Bartolomé Estebán qu’il placera d’un l’atelier d’un peintre. Murillo fut, comme Francisco de Zurbarán, l’un des peintres préférés des ordres religieux. Il est d’ailleurs surtout connu pour ses Vierges au visage doux et entourées d’angelots. Elle est toujours représentée comme décrite dans l’Apocalypse de Saint-Jean, debout sur un croissant de lune, mais pas couronnée d’étoiles et sans la présence du serpent, innovant ainsi par rapport à l’iconographie habituelle. Baignée d’une lumière divine, les mains croisées sur la poitrine, la Vierge regarde vers le ciel dans un élan dynamique.
Il existe tant de versions de ce thème que l’on oublie parfois que Murillo est aussi l’auteur de magnifiques portraits, de scènes bibliques et de scènes de genre où figurent de jeunes enfants pauvres, reflets d’une Espagne miséreuse et picaresque en plein Siècle d’Or.
Il y a un lieu très particulier à Séville : l’Hôpital de la Charité où se trouvent plusieurs œuvres de Murillo dont une magnifique Multiplication des pains et des poissons. On y découvre aussi les fameuses vanités de Juan de Valdès Leal, un autre grand peintre baroque sévillan, des œuvres qui font froid dans le dos – on y voit un évêque rongé par les vers – et qui sont autant d’avertissements de notre fin inéluctable et qui devraient nous inciter à la pénitence et, précisément, à la charité. Cet hôpital pour les déshérités a été créé par Miguel Mañara, afin, dit-on, d’expier son passé de coureur de jupons colérique et bagarreur. La légende raconte qu’il aurait croisé un jour son propre enterrement ce qui l’aurait conduit à une conversion radicale. Mais il fut surtout bouleversé par la mort de sa femme en 1661, un événement qui l’avertissait qu’une fin dernière peut nous surprendre à tout moment. On a longtemps considéré Mañara comme le modèle du personnage de don Juan, ce qui semble incompatible sur un plan chronologique d’après les spécialistes. Mais les légendes ont la vie dure et celle-ci fera le miel de l’écrivain romantique Prosper Mérimée, friand d’espagnolades, quand il écrira Les Âmes du Purgatoire, une réécriture imaginaire de la vie de Mañara qui, en assistant à une représentation du Don Juan de Tirso de Molina (El Burlador de Sevilla) aurait dit : je veux être Don Juan ! On parlera alors de l’Hôpital de la Charité fondé par Don Juan.
Le Musée des Beaux-Arts de Cadix, une autre ville andalouse face à l’Atlantique, vivante et riche de trésors artistiques, conserve une œuvre monumentale de Murillo : Les Noces mystiques de sainte Catherine. Ce tableau pourrait n’être qu’une des très nombreuses œuvres religieuses qui font le patrimoine artistique de l’Espagne, mais elle a une histoire ou plutôt une légende, encore une.
On raconte que Murillo croisa un jour une gitane.
« Je vais vous lire l’avenir, caballero, tendez-moi votre main droite… »
Murillo s’exécuta, lui l’homme de foi, mais comme tout bon Espagnol, un peu superstitieux.
« Je me dois de vous mettre en garde », poursuivit la gitane, un peu troublée, « vous avez de belles mains d’artiste, mais j’y vois un événement qui est un avertissement : à partir d’aujourd’hui, vous ne devrez plus jamais assister à un mariage, il en va de votre vie ».
Murillo, quelque peu secoué et pourtant peu enclin à croire tout ce que pouvait prédire une diseuse de bonne aventure, écouta cependant le conseil de la gitane et trouva mille excuses pour ne pas de se rendre à des mariages.
Le 3 avril 1682, alors qu’il exécutait un tableau monumental, il tomba d’un échafaudage provoquant une rupture intestinale liée à une ancienne hernie. Il s’agissait, on l’aura sans doute deviné, du tableau du Mariage mystique de Sainte Catherine…
Cet accident ne manqua pas de frapper les esprits encore longtemps ; on le commémora même en 1862 par un concours de peintures organisé par l’Académie des Beaux-Arts de Cadix auquel participa Manuel Cabral Aguado Bejarano dont ‘La chute de Murillo est’ exposé dans cette même ville et, comme un clin d’œil à la légende, il a été placé juste à côté des fameuses noces de Murillo.
- Séville, ville de légendes.
- Jean Michel Wissmer