Genève dans le style chalet

Enfant, vous avez peut-être joué sans le savoir dans le préau d’une école “Heimatstil”, vous prenant pour Heidi et Peter sur l’Alpe … Mais d’où nous vient ce surprenant décor de chalet en pleine ville ? Essayons de comprendre.
Comme tant de cités d’Europe, Genève a connu tous les styles qui ont façonné le continent. Le Moyen Age des cathédrales (Saint-Pierre, la Maison Tavel) ; la Renaissance des palais (L’Hôtel de Ville, le Collège Calvin) ; le classicisme français (les hôtels particuliers de la rue des Granges) ; le style néoclassique (le Musée Rath, le palais Eynard, la Corraterie). Au final, une profonde influence classique et française.
Plusieurs événements majeurs vont alors marquer Genève : la fin de l’annexion pendant 15 ans à la France, le 30 décembre 1813 ; la démolition des fortifications entre 1850 et 1880, et l’établissement d’un nouveau plan urbain (la ceinture dite “fazyste”, du nom du chef radical James Fazy, responsable de l’essor industriel de la ville) à l’image du “Ring” viennois. La ville respire, on crée des promenades, des squares, des jardins, mais l’on regarde toujours du côté de Paris (le Grand-Théâtre copie le Palais Garnier).
International NewspapersUn autre événement marquant va cependant changer la physionomie de Genève, l’éloignant du modèle français : l’Exposition nationale de 1896 avec son “Village suisse” qui nous ramène aux valeurs patriotiques et folkloriques, en constituant également une attraction touristique non négligeable.
“Ce Village traduisit le poids des origines helvétiques, la pureté du bon sauvage, la vie d’une communauté – civilisation sans corruption – vivant en permanence heureuse dans une démocratie pure ? En bref, ce Village se voulait l’emblème de cette Suisse – peuple de bergers, peuple des ‘pâtres vainqueurs’ – qui avait su intégrer la ville moderne donc artificielle – au village originel – donc naturel” (Crettaz/Detraz, 1983, cité dans “Heimatstil -Reformarchitektur in der Schweiz”, p. 65. Voir note en fin d’article).
Genève a trouvé un nouveau style : le “Heimatstil”. Un style qui va faire florès et dont le succès ne sera pas démenti pendant plus de 20 ans et même au-delà.
Prenez donc le temps de flâner en ville en levant les yeux et le nez. Vous verrez alors se multiplier pignons, lucarnes à colombage, flèches, dômes, donjons, toits pentus évoquant des chalets ou des fermes bernoises bien cossues, en un mot un Village suisse avec des décors historicisants, mêlant souvent le néogothique à l’Art Nouveau. Un monde chatoyant et pittoresque qui veut aussi prôner un helvétisme de confort, de valeurs paysannes, de retour à la nature (d’hygiène aussi !), le tout d’une solidité toute helvétique, avec des murs bien épais et de gros appareils de pierres saillantes et de bossages rustiques.
Tout cela est très solide, certes un peu lourd, mais finalement réconfortant, aussi éloigné de l’élégance classicisante que de la froideur des années 60.
Ce style se retrouve aussi bien dans la construction des hôtels, des gares ou des immeubles d’habitation que dans celle des écoles et des mairies. On ne peut pas les manquer : ces bâtiments se signalent de très loin par leur élévation et leurs tourelles.
Voici quelques uns des plus beaux exemples du Heimatstil à Genève.
Les écoles tout d’abord sont peut-être les exemples les plus emblématiques et monumentaux de ce style, véritables temples laïcs dédiés à la pédagogie et à l’éducation. Elles sont au coeur de l’esprit Heimatstil. L’école était devenue gratuite et obligatoire ; on se soucie du nombre d’élèves par classe, d’une bonne luminosité, de la meilleure hygiène possible (on construit loin des nuisances et des risques de contagion en soignant l’aération, on installe des douches). Bref, un “esprit sain dans un corps sain” : le préau est large, ouvert, avec des galeries ressemblant à des cloîtres, et la salle de gymnastique est un élément essentiel de l’ensemble. Mais on initie aussi les enfants à l’Art, à la notion du Beau (au sens social), et il y a parfois de petits musées à l’intérieur des écoles. Les classes ou les couloirs sont peints de belles frises ou de scènes de jeux d’enfants.
On citera en particulier l’école des Eaux-Vives, celle des Pervenches à Carouge et peut-être la plus impressionnante, celle du Prieuré-Sécheron (15, av. de France), toutes des réalisations de Henri Garcin et Charles Bizot, les “Michel Ange” du Heimatstil, également responsables d’un immense ensemble aux 86-92 rue de Saint-Jean, véritable forteresse dont les toitures piquetées de tourelles semblent vouloir concurrencer les falaises du Rhône.
Méritent aussi le détour l’école Hugo-de-Senger, celle de Saint-Jean, du boulevard Carl-Vogt, et de la Roseraie.
Autre lieu incontournable, la mairie des Eaux-Vives avec son grand beffroi orné d’une horloge, oeuvre de Léon Bovy qui signe également deux splendides immeubles au boulevard des Tranchées (numéros 14-16 et 44-46).
Un mot encore d’un bâtiment singulier et très pittoresque, la Maison communale de Plainpalais, construite en 1909 par Joseph Marschall (et qui fête donc ses 100 ans), mêlant Art Nouveau et Heimatstil. Devenue la célèbre salle Pitoëff, elle accueille aujourd’hui le Théâtre en Cavale. A l’intérieur on peut admirer de belles fresques allégoriques d’Edouard Ravel représentant le théâtre lyrique. Il faut noter d’ailleurs que les architectes du Heimatstil ont toujours soigné particulièrement les détails comme le prouve la beauté des boiseries, des ferronneries, des peintures, des stucs et des sols.
Genève, ville culturellement tournée vers la France, petit Paris avec ses hôtels particuliers dignes du Marais et son opéra qui ne détonnerait pas sur le Boulevard des Italiens, se découvrait tout à coup une vocation profondément helvétique et s’ornait de bâtiments qu’on aurait plutôt imaginer à Berne ou à Saint-Gall. Et ce qui frappe aujourd’hui c’est le nombre de ces constructions encore en place et qui ont véritablement changé le caractère et la physionomie de Genève.
Genève : un Village suisse à redécouvrir !
Jean-Michel Wissmer