Auguste Veillon : Des barques du Léman aux felouques du Nil
Le titre de ce beau livre signé Marie-Hélène Miauton et Marie Rochel résume à la perfection la carrière et la palette du peintre suisse Auguste Veillon (1834-1890), car il y a entre les voiles latines du Léman et les felouques du Nil une parenté troublante. Et même les ciels flamboyants teintés de la poussière rouge des vents du désert semblent répondre comme en écho aux brumes bleutées de nos régions.
Né à Bex dans le Chablais vaudois, Veillon a surtout fait carrière à Genève. Il est donc logiquement l’héritier d’une l’école dont les plus célèbres représentants sont Diday et Calame. Il est pourtant moins connu que ces derniers, et c’est bien regrettable, car tout chez lui est subtil et diaphane, loin des toiles tourmentées du romantisme alpin. On reconnaît l’influence de Corot, de Turner, et des Vaudois Bocion et Gleyre. Et pour ceux qui ne seraient pas sensibles aux charmes helvétiques, ils pourront voyager en Orient puisque Veillon est un très talentueux Orientaliste.
Cependant, pas de pittoresque superflu, de souks encombrés, de danseuses du ventre, de harems ou de femmes au hammam (on reste protestant tout de même…), mais des tableaux tout en finesse où les figures des fellahs égyptiens et des chameliers au visage invisible regardent – comme nous – des paysages enchanteurs. Rives du Nil, couchers de soleil, silhouettes de palmiers et de mosquées, nous parlent d’un Orient de paix et de beauté, nous parlent du passé.
Veillon aurait dû être pasteur, il a été peintre. Contre la volonté de son père, mais Auguste lui aurait dit : « Laisse-moi libre ! ». Heureuse liberté qui lui a donné des ailes pour s’envoler des montagnes suisses aux rivages du Nil et du lac de Tibériade en passant par la lagune vénitienne, la baie de Naples, la Corne d’Or et les canaux hollandais. Mais une liberté souvent partagée avec sa famille : c’est en effet avec femme, enfants, beaux-parents et servantes qu’il s’embarque pour l’Égypte !
Il aura toujours l’Orient au cœur ; au cœur de son atelier genevois aussi, jonché de tapis, costumes et objets exotiques. Il agrémente même sa correspondance de mots arabes. Alors qu’il est en Palestine – mais sans sa famille cette fois – regrettant le peu de temps qu’il va y passer, il écrit : « mais, mafiche [rien à faire], vous savez ce que c’est que de quitter sa famille ».
On est impressionné par le nombre de voyages effectués, en bateau, à cheval, parfois dans des conditions difficiles, et qui affecteront d’ailleurs sa santé. Mais l’attrait du large est plus fort que tout comme pour tant d’artistes et d’écrivains suisses qui se sentent à l’étroit chez eux.
Ce livre ingénieusement de forme allongée pour mieux mettre en valeur paysages et panoramas reproduit un grand nombre de toiles nous permettant ainsi d’apprécier la variété et la qualité des peintures. On notera que la plupart proviennent de collections particulières, ce qui en dit long sur le bon goût des collectionneurs avertis et sur celui plus limité des musées, même suisses. Ces derniers auront sans doute été victimes de l’avènement de l’impressionnisme, une révolution picturale qui a relégué les œuvres de Veillon au rang de jolis paysages conventionnels aux qualités surtout documentaires.
Le livre de Marie-Hélène Miauton et Marie Rochel vient réparer cette injustice, et replace l’œuvre d’Auguste Veillon à sa juste place : celle des grands.
Jean-Michel Wissmer
Marie-Hélène Miauton et Marie Rochel :
Auguste Veillon. Des barques du Léman aux felouques du Nil,
Lausanne, Favre, 2015.