Son livre, Rue Centrale. Portrait d’une ville européenne, fait parler banquiers, paysans, serveuses, guérisseurs, clandestins, prostituées, boxeurs, pour ne citer que quelques exemples de ses 68 portraits d’ici et d’ailleurs. Car bien sûr, ces Lausannois sont vaudois, confédérés, mais aussi étrangers – une vingtaine – formant un melting-pot à l’image de notre monde globalisé et multiculturel. Laura Spinney, romancière et journaliste anglaise, avait suivi son mari médecin engagé au CHUV. Pour adoucir son exil vaudois et approcher des gens qu’elle trouvait très distants au premier abord, elle s’est lancée dans cette aventure « au feeling », « en recherchant l’étincelle », comme elle nous l’a confié. Parlant des Lausannois, elle avoue : « Ils sont réservés, mais quand on sait gagner leur confiance, ils vous sont fidèles à jamais. Et puis il ne faut pas oublier que la Suisse a toujours été un carrefour, un lieu de passage, et les montagnes ne sont pas une barrière, bien au contraire ».
A la lumière des différents témoignages on réalise qu’il n’est pas toujours facile pour les étrangers de s’intégrer, mais qu’au final ils se trouvent plutôt bien en Suisse. Laura Spinney considère que l’intégration a été assez bien réussie et qu’elle constitue une richesse pour ce pays. Certains, comme cette serveuse croate, trouvent toutefois que les choses se sont détériorées, et dénoncent l’insécurité croissante, les cambriolages et le trafic de drogue : « on commence à avoir les mêmes problèmes ici que dans tous les autres pays », assure-t-elle.
Q. Pensez-vous que tous les gens que vous avez interviewés vous ont dit la vérité ?
R. Oui, je le crois pour la plupart.
Q. Avez-vous volontairement choisi des personnalités non conventionnelles ?
R. Non, je ne pense pas ; j’ai cherché avant tout des gens avec un regard ouvert sur l’extérieur.
Q. Avez-vous revu certaines de ces personnes ?
R. Oui, j’en ai revu une dizaine ; certaines sont même devenues des amis. En tout cas, chacune a reçu un exemplaire de mon livre !
Chaque portrait est introduit par une petite notice biographique. Il y a des portraits très courts comme des instantanés, d’autres plus longs qui nous permettent d’entrer dans une intimité.
Après avoir découvert une ville diverse et cosmopolite, Laura Spinney semble l’avoir adoptée et s’y sentir bien. Lors de notre interview, elle regardait la rade de Genève et son jet d’eau, et paraissait intriguée par cette ville-sœur et depuis toujours concurrente de Lausanne, une ville qui lui aurait certainement fourni une autre jolie série de portraits.
Sur la couverture de Rue Centrale, une belle femme au regard intense. Ce n’était pas le premier choix de l’auteure : elle aurait aimé la photo d’une boîte aux lettres avec des noms reflétant toute la diversité de Lausanne. Mais en Suisse, on préserve sa vie privée…
Grande voyageuse, ayant vécu notamment en Afrique, Laura Spinney nous offre un autre voyage, un voyage intérieur dans un pays à la fois familier et exotique, le nôtre. Cette Rue Centrale qui traverse tant de vies et de destins divers a déjà été traduit en anglais et va donc partir à la conquête d’autres lecteurs qui découvriront sans doute avec surprise une réalité suisse qu’ils ignorent peut-être.
Jean-Michel Wissmer
Laura Spinney. Rue Centrale, portrait d’une ville européenne, Lausanne, l’Age d’Homme, 2012. la couverture : copyright Alain Kissling.
Laura Spinney collabore avec National Geographic, Nature, The Economist, et est l’auteure de deux romans, The Doctor et The Quick.