
Banksy, le nouveau Robin des Bois du monde de l’Art
Banksy est aujourd’hui l’artiste urbain à la fois le plus célèbre et le plus anonyme, le plus marginal et le plus commercial (à ses dépens…), le plus engagé et le plus détourné, le plus solitaire et le mieux entouré. Paradoxal Robin des Bois pris à son piège.
Tout aurait commencé à Bristol en 1990. Ses œuvres exécutées au pochoir sur des murs délabrés, souvent détruites lors de guerres, parfois recouvertes ou volées, se retrouvent à présent reproduites et encadrées dans les musées. Les deux expositions présentées en Suisse, l’une au Palais de Beaulieu à Lausanne (jusqu’au 29 juin), l’autre permanente à Saxon en Valais, font partie des vingt-sept faisant le tour d’autres villes dans le monde. La plupart ne sont pas autorisées par l’artiste qui s’en plaint, mais comme il a déclaré lui-même que « les droits d’auteur, c’est pour les perdants », il se retrouve victime (malgré lui) d’un accrochage parfois peu vertueux et d’une commercialisation à outrance.
Des produits dérivés (casquettes, tee-shirts, pins, calendriers, et autres) attendent le visiteur lausannois, tandis qu’à Saxon on a opté pour une approche plus « banksienne », puisque le visiteur qui circule au milieu des gravats et du bitume (remarquable reconstitution) ne trouvera pour tout souvenir qu’un petit flyer cartonné.
Les œuvres de Banksy, qui auraient dû être éphémères et sans valeur commerciale, atteignent aujourd’hui des sommes astronomiques. En 2018 la plus célèbre d’entre elles, « There is always hope » qui représente une petite fille lâchant – ou voulant rattraper – un ballon, a connu une vente aux enchères spectaculaire, car, après le coup de marteau final, à l’insu de l’acquéreur et sous les yeux médusés du public, la moitié du tableau a été subitement réduite en lambeaux, l’artiste s’étant ingénié à dissimuler derrière le cadre un broyeur enclenché précisément à ce moment. Juste avant, l’œuvre avait été en effet adjugée à 1,2 millions d’euros et l’événement du déchiquetage fut qualifié alors de « happening artistique le plus spectaculaire du XXIe siècle ». Trois ans plus tard, toujours à Londres, le prix de l’œuvre « broyée », rebaptisée « Love is in the bin » (« l’amour est dans la poubelle »), s’est alors envolé pour atteindre 21,8 millions d’euros ! Si Banksy voulait dénoncer la « marchandisation » de l’art, c’était raté.
Engagé en particulier pour les migrants, les Gazaouis et les Ukrainiens, Banksy parvient à fédérer tout le monde, même ceux qui ne partageraient pas ses prises de position et ce grâce à la qualité suprême de ce Robin des Bois des temps modernes : son humour et son sens de la dérision. Les exemples sont innombrables, mais en voici deux : le tableau représentant un soldat israélien et un soldat palestinien se battant comme des enfants à coups … d’oreillers ; et le « lanceur de fleurs », un homme, le visage dissimulé qui, au lieu de lancer une grenade ou une pierre, lance un bouquet de fleurs. On sourit malgré la violence de l’évocation.
Les deux expositions présentent les œuvres les plus célèbres de l’artiste et l’on aura plaisir à les comparer. Celle de Lausanne est sans doute plus spectaculaire et plus complète avec sa cabine de téléphone rouge (typiquement anglaise) à moitié enterrée dans le sol, son éléphant au milieu d’un salon, sa rame de métro, son parlement des singes, sa salle de bain envahie de rats, mais celle de Saxon plongera le visiteur dans un univers plus « banksien », car peut-être moins commercial, si cela est encore possible.
En tout cas, voilà de quoi nourrir notre réflexion sur l’art et son marché sans pour autant perdre peut-être le plus important, le plaisir et l’étonnement devant les œuvres de l’artiste le plus énigmatique de notre époque.
Jean-Michel Wissmer