À propos du recueil « La bourrasque et l’arc-en-ciel » de Jean-François Blavin , Éditions Unicité
Voilà un recueil qui enchante… comme un paysage hivernal de ciels laiteux et de brumes confortables propices aux rêveries. Ce recueil nous rappelle que la poésie est d’abord une rêverie, faite « d’un souvenir très ancien qui traîne là-bas » de la mémoire et du temps comme « étendue de nuées ».
Ce recueil rappelle aussi que la poésie est une interrogation, une inquiétude, une angoisse, un effroi…et qu’elle est aussi multiple et déroutante dans l’univers familier qu’aime à nous conter Jean-François Blavin du quotidien des vies et des destinées contemporaines. Quotidien happé depuis la table des cafés, où s’agitent voix, rumeurs, amitié et querelle. Quelle sagesse que l’espoir gardé malgré tout !
Hymne à Paris et à son histoire depuis les berges de la Seine, presque des accents gaulliens de liberté de « notre Seine… notre Histoire ». Interrogation sur les embarras de Paris, ses habitants et leurs besogneuses activités « dans l’obsession de leurs records » mis en parallèle avec « le cri âpre à l’écriture » déployée dans le poème suivant « derrière la page blanche ».
Le dessin de Nicole Durand explicite ce maelstrom de manière claire…
Retour au jardin, avec Jean-François Blavin, poète très urbain, la nature n’est jamais loin, nature policée des jardins parisiens, tellement attachante par ces journées d’hiver, qui s’ouvre tout à coup sûr un « sentier de montagne », en belle métaphore de la vie pour retrouver très vite les beautés du Parc de Chamarande et « ses creux mystérieux du val ».
Autant de paysages sont des invitations à l’écriture et à la poursuite des rêveries de ce randonneur…forgeron qui sans cesse bat et rebat le vers sur l’enclume de la langue, et l’écho de ses maitres en poésie Charles Baudelaire, Paul Verlaine ou Émile Verhaeren
Il y a quelque chose d’océanique dans cette poésie qui scrute les côtes pour voir surgir le phare, ou les phares, chers à l’albatros …pour revenir après l’envol à la sagesse du quotidien du poète, et les mots qu’il affectionne… rêverie, bivouac, passante, salves, patrouilles… comme pour « être préservé d’Arès »
Le recueil balance entre ville et campagne, en incessants retours, entre la « fugue des songeries » du début à « la besace des peines ».
Comment ne pas voir dans ce cheminement une allégorie de nos propres vies à l’orée de l’automne et jusqu’à la défaite, cette vie comme jeu de hasard familier aux parisiens qu’est le bonneteau… le dessin de Nicole Durand suit cette âpreté, se faisant plus anguleux, plus sombre, épousant le verbe du poète en une belle concordance des imaginaires.
On sent le poète un peu désarçonné par la ville aimée, que la vie moderne vienne grêler pour la rendre plus solitaire qu’hier, ce « Paris d’hier et d’aujourd’hui » qui nous revient en bouffées studieuses, joyeuses et révolutionnaires pour nous transformer en « cet homme et cette femme en deuil d’existence » dont la vie prend l’apparence « du fracas de la vague » ; deuils des poètes et des êtres pendant la période sombre du confinement jusqu’à la renaissance du « printemps jubilant ». En résonance avec Verlaine, quelque chose échappe au poète… comme la passante que serait la vie ? Et quelle résurrection attendre si l’on est en sursis ?
Terribles interrogations du poète qui nous malmène avec la tempête « qui détient le scénario ? » s’il est un « désarroi des sachants », restent les artistes, peintres et poètes pour crier « le poème sauveur ».
Serons-nous sauvés, absous par l’album des enchantements ? Enchantement… opération mystique ainsi que nous le rappelle Vladimir Jankélévitch dans le « je ne sais quoi… » Album ouvert par la PAIX, puis l’ANGE « un messager s’est assis à ma table », un dialogue surréaliste entre l’ange et le poète qui me rappelle les statuettes vues dans un parc forestier en Lituanie où s’improvisaient des dialogues improbables de l’imaginaire populaire. À ce dialogue, le poète en inscrit un autre avec la muse et ce questionnement itératif du créateur « La muse, le sais-tu ? »
Enfin vint la délivrance, devrais-je dire en langage blavinien : la levée d’écrou, ENFIN…le café et la terrasse ! toutes les terrasses de Paris qu’il connait si bien et où tant de ses poèmes sont nés, telle est la légende bien réelle de Jean-François Blavin « en extase » au Jardin des Tuileries de l’enfance, « en quiétude à bord du fleuve »…Ô Seine (Scène), de l’abîme à l’enchantement.
Ce recueil participe de notre mémoire, celle du poète, mais aussi celle de ses amis ; nous retrouvons l’intimité d’un vécu commun, oserais-je dire un bien commun, nous qui l’avons accompagné dans ses rêveries de recueil en recueil. Nous avons été charmés par l’élégance de son style, l’humour et le fantastique de son imagination, voulant oublier avec lui les noirceurs et la détresse de notre temps. Contre le nihilisme ambiant destructeur, ce recueil lève haut la poésie et l’envol d’espoir.
Nicole Barrière