Q : Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours ?
Je crois que je peux diviser ma vie en trois p ?riodes diff ?rentes. A l’ ?poque sovi ?tique, j’ ?tais chercheur, professeur en ?conomie et vice-directeur de l’Institut de Recherche de l’Acad ?mie Nationale des Sciences de l’Ukraine. La p ?riode suivante s’est d ?roul ?e dans l’administration pr ?sidentielle, et la derni ?re est le service diplomatique qui a d ?but ? en 1998. On peut dire qu’il s’agit d’une troisi ?me vie…
Q : Est-ce que le domaine de l’ ?conomie vous manque ?
Je n’ai jamais quitt ? le domaine ?conomique. D’abord il y a la micro ?conomie, c’est- ?-dire les finances de la mission. Ensuite vient la macro ?conomie car il existe ici ? Gen ?ve plusieurs organisations internationales qui s’occupent des probl ?mes ?conomiques, surtout l’OMC, dont nous esp ?rons joindre cette ann ?e. C’est pourquoi je suis compl ?tement satisfait car je n’ai jamais quitt ? mon m ?tier. De plus, je pense que le m ?tier de diplomate peut ?tre compar ? ? celui d’un chercheur. Chaque fois on essaye de trouver une solution pour un nouveau projet, ce qui constitue une exp ?rience nouvelle pour notre pays qui n’est pas tr ?s exp ?riment ? dans les relations internationales du fait que nous sommes ind ?pendants que depuis 15 ans.
Q : Comment caract ?risezvous la p ?riode d’ind ?pendance ?
Je pense que c’est la chance de ma g ?n ?ration de pouvoir participer ? la construction d’un pays ind ?pendant. Plusieurs g ?n ?rations d’Ukrainiens en r ?vaient. C’est seulement ma g ?n ?ration et la suivante qui auront la chance d’ ?tre pr ?sentes quand l’Ukraine sera membre de la communaut ? europ ?enne. Moi aussi j’esp ?re ?tre t ?moin de cela lorsque l’Ukraine deviendra un pays prosp ?re.
Q : Est-ce que cela a ?t ? facile pour l’Ukraine d’obtenir son ind ?pendance ?
L’ind ?pendance ukrainienne r ?sulte de lutte de plusieurs g ?n ?rations. C’est la cons ?quence directe de la fin de l’Union Sovi ?tique. On ne peut pas dire que quelque chose de particulier se soit pass ? en 1991 en Ukraine. Le m ?me processus de d ?mocratisation a eu lieu ? Moscou, ? Leningrad, dans les pays Baltes, en G ?orgie et dans les autres pays de l’ancienne Union Sovi ?tique en cadre de » perestro ?ka « . L’Ukraine a toujours ?t ? un pays membre de la famille europ ?enne, mais malheureusement nous avons ?t ? partag ?s entre quelques pays voisins au cours de l’histoire. Par exemple, m ?me avant la deuxi ?me guerre mondiale, l’Ukraine ?tait partag ?e entre quatre pays : l’Union Sovi ?tique, la Pologne, la Roumanie et la Tch ?coslovaquie. Avant la premi ?re guerre mondiale le territoire ?tait divis ? entre deux pays, la Russe et l’Empire austro-hongroise. Pour moi c’est une des preuves de notre appartenance historique ? la famille europ ?enne.
Q : Est-ce que ce sentiment d’ ?tre ukrainien existe toujours ?
Oui, depuis toujours cela a ?t ? ainsi. Historiquement l’Ukraine a connu parfois l’ind ?pendance puis l’a perdue et a essay ? ensuite de la retrouver. Les historiens identifient notre pays comme ?tant celui des « Ukraine-Rus » en l’appelant la Rus’ki ?vienne.
Q : Cette ann ?e vous avez c ?l ?br ? le 20 ?me anniversaire de l’accident de Tchernobyl. Quelles en ont ?t ? les cons ?quences pour l’Ukraine ?
Il y a eu, et il y en a encore, des cons ?quences d’ordre ?cologique, ?conomique, social, m ?dical et politique. Pour le moment, le niveau de radiation ? Kiev est normal, et il en est de m ?me ? Tchernobyl. Les probl ?mes se trouvent sous le sarcophage et dans le sol : par exemple, les plantes et les champignons dans le zone radioactive sont trop radioactifs. Cette zone autour de Tchernobyl de 30 km est interdite ? toute activit ? ?conomique et ? l’habitation. Cependant il y des personnes qui travaillent sur le site et qui s’occupent du sarcophage qui abrite le r ?acteur. Une ?quipe ne travaille pas en permanence sur le site. Le sarcophage qui avait ?t ? r ?alis ? dans des conditions extr ?mement difficiles est menac ? et c’est pour cette raison que l’Ukraine, avec le soutien de la communaut ? internationale, s’occupe de la construction d’un nouveau abri.
Q : Pensez-vous que cet accident vous a donn ? une mauvaise image ?
Non, je pense que cela a plut ?t constitu ? une mauvaise image pour l’Union Sovi ?tique car la technologie ?tait sovi ?tique. Le nucl ?aire ne servait pas uniquement ? la production ?lectrique mais ?galement ? des fins strat ?giques telles que la production du plutonium enrichi pour l’armement. C’ ?tait la strat ?gie de l’Union Sovi ?tique de construire des centrales nucl ?aires ? l’Ouest, c’est- ?-dire en Ukraine, pour se rattacher ses pays satellites de pacte du Varsovie comme consommateurs d’ ?lectricit ?.
Il me semble que l’anniversaire de Tchernobyl nous oblige ? nous rappeler la responsabilit ? des Etats et pas uniquement celle de ceux qui poss ?dent les armes nucl ?aires mais aussi de ceux qui poss ?dent la technologie nucl ?aire.
Lorsque la centrale nucl ?aire a explos ? ? Tchernobyl, cela n’a ?t ? annonc ? nulle part. En fait, nous l’avons appris par la radio des Etats-Unis. Le 1er Mai, c’est- ?-dire quelques jours plus tard ; il y a m ?me eu des manifestations c ?l ?brant la f ?te du travail pour confirmer que tout allait bien. C’est la preuve que les Etats totalitaires sont dangereux du point de vue de l’exploitation de telles structures pour la population de ces ?tats ainsi que pour les autres.
Q : Et les victimes dans tout cela ?
Il y a eu bien s ?r les victimes directes comme les pompiers et les mineurs qui travaillaient sur un tunnel sous la centrale. Les cons ?quences « collat ?rales » sont l’augmentation des maladies canc ?reuses et cardiaques car les gens ?taient tr ?s stress ?s. Il y a eu des centaines de milliers de personnes qui ont ?t ? oblig ?es de quitter leur maison, leur village o ? ils avaient v ?cu pendant tr ?s longtemps. Cela n’a pas ?t ? une situation tr ?s facile. Cela dit, toutes les cons ?quences ne sont pas encore bien connues, mais le niveau de mortalit ? des personnes qui ont particip ? est plus ?lev ? que la normale. Cela sont des cons ?quences m ?dicales et sociales.
Q : A la suite de cette catastrophe, est-ce que l’Ukraine a toujours des centrales nucl ?aires ?
Nous non plus, nous n’avons pas d’autres solutions. Aujourd’hui nous avons des centrales nucl ?aires semblables ? celles qu’on trouve en Occident et quisont beaucoup plus s ?res, que le r ?acteur de type RBMK de Chernobyl.
Q : L’ind ?pendance de l’Ukraine est intervenue en m ?me temps que celle de la G ?orgie, de l’Azerba ?djan, etc. Est-ce que cela a cr ?? une sorte de solidarit ? entre vous ?
Oui, bien s ?r. Les Ukrainiens et les autres ont de bons et de mauvais souvenirs de l’Union Sovi ?tique. Il a eu beaucoup de mariages mixtes et les peuples sont proches. On parlait la m ?me langue. En URSS le russe ?tait la seule langue d’Etat aussi bien pour les G ?orgiens que pour les Ukrainiens et les Ouzbeks…
A la fin de l’Union sovi ?tique la Communaut ? des Etats Ind ?pendants (CEI) a ?t ? cr ??e. Les pays Baltes n’en font pas partie. L’Ukraine n’a jamais sign ? les statuts de l’organisation. Nous y participons dans le cadre des probl ?mes ?conomiques et humanitaires, mais pas dans celui des questions de d ?fense. Malheureusement, cette institution peut ?tre consid ?r ?e comme peu efficace. Un exemple concret est celui de la zone de libre ?change que nous avons ?tablie entre les pays membres mais qui, en r ?alit ?, ne marche pas comme pr ?vu. C’est pour cette raison que les pays ind ?pendants cherchent maintenant ? trouver de nouveaux partenaires ou ? joindre d’autres institutions. Dans le cas de l’Ukraine, nous souhaitons devenir membres de l’ OMC, l’UE et l’OTAN. Mais il y a ?galement une organisation qui s’appelle GUAM et qui r ?unit l’Ukraine, la G ?orgie, l’Azerba ?djan et la Moldavie.
Q : Quelqu’un m’a dit que l’Ukraine avait connu son ind ?pendance il y a seulement 15 ans. Est-ce vrai ?
Depuis le X ?me si ?cle nous sommes chr ?tiens, et notre ?tat s’appelait alors la Rus ki ?vienne. Ensuite, nous avons perdu notre ind ?pendance et nous faisions partie de la grande Lituanie avant d’appartenir ? la grande Pologne. Au XVII ?me si ?cle l’Ukraine s’est lib ?r ?e de la Pologne, mais nous avons sign ? un accord avec l’Etat de Moscou et petit ? petit nous avons ?t ?s englob ?s dans cet ?tat.
En 1918, juste apr ?s la Premi ?re Guerre mondiale, nous sommes devenus ? nouveau un ?tat ind ?pendant au m ?me titre que la G ?orgie, l’Estonie, l’Azerba ?djan, l’Arm ?nie, la Finlande et la Pologne. Nous avons perdu notre ind ?pendance en 1920, seulement pendant deux ans et de plus dans des conditions tr ?s difficiles. Nous ?tions attaqu ?s de tous les c ?t ?s par les bolcheviks et les Gardes Blancs.
Q : Est-ce que ce vous ?tes devenus membre des Nations Unies d ?s que vous avez obtenu votre ind ?pendance ?
L’Ukraine fait partie des Membres fondateurs de l’ONU, depuis la cr ?ation de l’Organisation en 1945. Lors que nous faisions partie de l’Union Sovi ?tique. Pourtant l’Ukraine avait son ind ?pendance. Cela n’ ?tait pas une ind ?pendance r ?elle mais formelle, et notre pays s’appelait la R ?publique Sovi ?tique Socialiste d’Ukraine.
L’Union Sovi ?tique pr ?sentait ses provinces comme des pays ind ?pendants mais r ?unis de leur propre volont ? et il existait une clause stipulant que tout Etat avait le droit de quitter cette union. A propos, c’est la raison formelle de la destruction de l’Union Sovi ?tique. Lorsque les leaders de Russie, Ukraine et Bielorussie : Eltsine, Kravtchouk et Shushkevitch ont d ?clar ? que ils ne souhaitaient plus faire partie de l’Union Sovi ?tique, ils ont utilis ? cette clause de la Constitution.
Donc l’Ukraine fait partie des membres fondateurs des Nations Unies. A l’ ?poque l’Union Sovi ?tique ?tait seul pays communiste au monde. C’est pourquoi l’Ukraine et la Bi ?lorussie sont devenus membres de l’ONU. Nous avions m ?me un Minist ?re des Affaires Etrang ?res qui, en r ?alit ?, ?tait un d ?partement des Affaires Etrang ?res Sovi ?tiques. A Gen ?ve il y avait une mission diplomatique ukrainienne depuis les ann ?es 60.
Q : Quelle est votre plus grande r ?ussite au sein des Nations Unies ?
Nous sommes un pays assez grand. Si on consid ?re sa superficie, nous sommes le deuxi ?me en Europe. Nous sommes un ?tat jeune mais assez ambitieux. Nous avons choisi la voie europ ?enne et la voie d ?mocratique. Nous souhaitons avoir une influence dans le domaine des droits de l’homme, par exemple, et nous venons d’ ?tre ?lus au Conseil des Droits de l’Homme, et nous avons ?t ? membres du Conseil de S ?curit ?.
Nous participons ?galement d’une mani ?re active aux forces du maintien de la paix, ce dont nous sommes particuli ?rement fiers. Le plus important pour nous est de cr ?er les conditions de vie pour la population ukrainienne qui soient dignes d’un peuple europ ?en et d’un ?tat pas uniquement ind ?pendant mais aussi prosp ?re et responsable.