Des représentants des Etats membres et d’ONGs sont réunis actuellement au siège des Nations Unies à New York pour la 56ème commission de la condition de la femme qui se tient du 27 février au 9 mars. Thème principal : l’autonomisation de la femme rurale.

International NewspapersInterview de Zoubeida Bouayad marocaine, professeur en médecine, spécialisée en maladies respiratoires. Elle est aussi la présidente du groupe parlementaire « Socialiste » (USFP) à la Chambre des Conseillers. Elle avait dix ans lorsqu’elle a commencé à s’intéresser à la politique.
Q : Comment qualifieriez-vous la condition des femmes marocaines aujourd’hui ?
R : Depuis l’indépendance, les mouvements féministes ont toujours fonctionné de manière dynamique. La femme marocaine était déjà présente le 11 janvier 1944, lors de la signature de la charte pour demander l’indépendance. La femme marocaine a toujours été présente, que ce soit dans le secteur professionnel -16% de femmes sont chefs d’entreprise ou dans le secteur médical -30% sont des spécialistes. Nous avons actuellement plus de 80% d’étudiantes en première année de médecine. Nous risquons d’avoir, à l’avenir, une féminisation médicale. Dans le domaine politique, la législation sur les partis a imposé un quota qui dépasse les 25 %. Pour ce qui concerne les lois organiques, que ce soit au niveau du parlement, de l’assemblée ou de la chambre des conseillers, il y a également des quotas. Malheureusement, lors des élections du 25 novembre 2011, nous n’avons pas atteint les 30%. Nous n’en sommes qu’à 19% au niveau de l’Assemblée nationale. Il y a toutefois un fait nouveau important, -après le code de la famille qui a été une véritable révolution pour la femme marocaine- c’est que depuis la constitution de juillet 2011, 10 articles sont consacrés à la condition de la femme. Nous travaillons en ce moment à la mise en place d’une loi pour la création de l’institution parité et non-discrimination envers les femmes. Dans le préambule, les droits socio-économiques de tous les citoyens marocains sont mentionnés, quelque soient le sexe, l’origine ou l’âge. Tous les droits humains sont respectés, y compris le droit à la vie. Au sein de l’instance du pouvoir judiciaire –composée de 10 juges, la femme constitutionnellement parlant, doit être présente. Des articles de la constitution mentionnent les droits de la famille, de la mère et de l’enfant.
Nous avons encore à faire évoluer les mentalités concernant l’héritage. De par la constitution, nous sommes maintenant un pays musulman. Notre religion, c’est l’Islam et bien entendu, il y a le poids de la religion. Il y aura surement un débat qui sera ouvert.
Mon pays a pris des engagements quant aux objectifs du Millénaire. Nous considérons que la libération de la femme marocaine passe par son éducation et le taux d’analphabétisme chez la femme rurale reste malheureusement élevé : -34% environ- Nous sommes très engagés dans l’autonomisation des femmes et dans la lutte contre la pauvreté. Nous travaillons aussi sur la santé de la mère et de l’enfant. Nous allons essayer de réaliser nos objectifs pour 2015.
La femme rurale, qui est le thème de cette 56e cession, reste un vrai problème parce qu’il y a un fossé important en terme d’éducation et de formation de la femme -et des jeunes filles lesquelles rencontrent des difficultés que je qualifierais « a caractère géographiques. » Voyez-vous, nous n’avons pas des habitats groupés par village. Nous avons plusieurs micro-villages qui ont des écoles primaires. Ensuite, les distances entre les collèges et l’habitat sont énormes, ce qui fait que les filles ont des difficultés pour accéder à ces collèges situés souvent à une trentaine de kilomètres de leur village.
Q : Parlez-moi de l’initiative Nationale de Développement Humain. Ou en êtes-vous ?
R : Depuis l’an 2000, l’I.N.D.H. est un projet stratégique très important pour le Maroc, avec un budget énorme. Il permet la création de cités et de maisons de jeunes filles près des collèges et des internats. Nous avons des espaces culturels, des espaces d’échanges en matière de sport, en matière de coopératives qui permettent d’avoir des emplois. Malheureusement l’analphabétisme de la femme en milieu rural chez nous, reste trop élevé. C’est la raison pour laquelle nous avons des efforts à fournir. Nous travaillons sur l’accès à l’eau, à l’électricité. La couverture en eau et en électricité a dépassé les 80 %. Nous développons les infrastructures –routes etc, ce qui nous permettra de résoudre les problèmes d’accès à la santé. Il y a deux objectifs du millénaire qui sont très clairs : la mortalité et la santé de la mère et de l’enfant. La mortalité maternelle a diminué au cours de ces 5 dernières années. En 2003, elle était de 227 pour 100,000. Elle est passée à 110 en 2008. C’est pratiquement une réduction de 50% grâce à l’accès à ces zones qui étaient auparavant enclavées. Nous avons mis en place des unités mobiles avec des kits d’accouchements, gratuits. Ce qui fait que la mortalité maternelle a diminué. La mortalité infantile est malheureusement plus élevée en zone rurale, surtout chez les enfants de moins de 5 ans. Elle était de 49 pour 1000 en 2008. Elle est passée à 34 pour 1000 durant la même période.
Q : Combien avez-vous actuellement de femmes au sein de votre gouvernement ?
A : Malheureusement, après les législatives du 25 novembre 2011 et l’arrivée du nouveau gouvernement, il n’y a qu’une seule femme. C’est un gouvernement plus conservateur que progressiste et moderne. A l’USFP, nous sommes dans l’opposition et nous nous battons pour qu’il y ait plus de femmes. Il y en avait sept au sein du gouvernement précédent. J’espère que la situation va évoluer et que le gouvernement et le roi, vont nommer des femmes à des postes de responsabilités.
Q : Pensez-vous vraiment qu’au Maroc, la situation de la femme soit la même que celle de l’homme ? J’ai des amies marocaines qui me disent qu’elles ne sont pas encore vraiment émancipées et que lorsqu’elles sont en compagnie d’hommes marocains, elles n’osent pas se conduire comme elles le feraient en notre compagnie ?
R : Si vous vous referez à la boisson par exemple, ce n’est pas dans notre culture. Je suis une femme moderne mais cela ne me dit absolument rien de boire de l’alcool. Vous savez, les comportements des uns et des autres ne peuvent pas être identiques. Les cultures ne sont pas et ne peuvent pas être identiques, y compris au sein d’un même pays. Ici aux Etats-Unis, pays de liberté, il y a des familles très conservatrices. Les différences culturelles existent partout. L’essentiel pour nous, c’est de partager des valeurs de droits humains, des valeurs d’égalité. Des valeurs de lutte contre toute discrimination. Des valeurs contre les violences. Des valeurs qui sont universelles. C’est cela qui est important. Oui, je peux boire un verre. Mais je serai mieux si je bois une tasse de café. Si une amie prend un verre devant moi, c’est tout à fait normal. Cela la regarde. Ce que certains partis politiques, certaines femmes ou certains hommes reprochent à l’Europe, de façon générale, et à d’autres pays que des pays musulmans, c’est d’essayer de nous imposer leurs cultures. Il faut avoir le droit du choix des cultures et partager ce qui est à partager et qui sont les valeurs des droits humains. Les valeurs de l’égalité et de la justice sociale.
Q : Qu’en est-il des mariages forcés ?
R : Ils existent encore, mais dans des familles extrêmement conservatrices. Le mariage des mineurs a beaucoup diminué, -notre code de la famille stipule que l’âge légal pour se marier, c’est 18 ans. Mais parfois, on constate que des jeunes filles se marient vers 15-16 ans. Personnellement, en temps que parlementaire, j’ai fait une proposition de loi contre le mariage des mineures. J’ai mis le niveau à 16 ans minimum. J’attends que cette proposition passe lors de la session d’avril. La femme marocaine mène un combat permanent.
Propos recueillis à New York par Célhia de Lavarène
4 mars 2012