ONU SOIT QUI MAL Y PENSE.

Ils s’appellent Ami Horowitz et Matthew Groff. Ils sont tous les deux scénaristes, producteurs, directeurs et auteurs d’un docu/film qui va faire couler beaucoup d’encre et qui est à voir absolument. Son titre : U.N. Me.
Plus qu’un film, c’est un voyage déchirant mais hilarant à travers le monde burlesque d’une organisation dont il brosse un tableau inquiétant, à l’heure où la Syrie s’enfonce dans la guerre civile et où le nombre des morts se chiffre par dizaine de milliers. Ami Horowitz le trublion, jette une lumière crue sur le disfonctionnement de l’institution et montre les dérives de certains de ses « peacekeepers ». Heureux hasard du calendrier, son film, sort le 1er juin, pratiquement au moment ou l’ONU fête la journée de ses casques bleus !
Ami Horowitz était banquier à Wall Street. Après le 11 septembre 2001, il a réalisé que les Nations Unies ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur une claire définition du terrorisme. Le déclic lui vient un soir, alors qu’il regarde « Bowling for Colombine » de Michael Moore. Il comprend que faire un documentaire est le moyen idéal pour exposer les échecs, dénoncer l’incompétence et la corruption qui règnent en maitre au sein d’une organisation qui a oublié ses principes fondateurs et trahi ses idéaux au profit des intérêts des grandes puissances. En juin 2007, il se décide à traverser le miroir aux alouettes. A pénétrer l’univers glauque de la maison de verre.
« Je n’avais aucune notion des Nations Unies », énonce t-il posément. Je crois bien que j’ai lu quelques vingt trois livres. J’ai lu la charte des Nations Unies de la première à la dernière page. Lorsque l’ONU a été fondée, il y a plus de soixante ans, elle incarnait l’espoir d’un monde plus pacifique. Pourtant, les conflits internationaux se sont multipliés et il y a eu de plus en plus violations des droits humains. Cela m’a fait profondément réfléchir : le génocide rwandais en 1994, ce n’est pas si lointain. Pourquoi ? Comment un tel génocide a-t-il pu avoir lieu aujourd’hui ? Puis j’ai pensé, oublie les années 90. Je suis assis dans mon confortable appartement new yorkais alors qu’il y a des gens au Darfour qui vivent dans la terreur d’être tués. Qui est supposé les protéger ? Les Nations Unies n’ont-elles pas été créées pour empêcher que l’holocauste recommence ? Pourtant, des génocides se sont reproduits au Cambodge, en Union Soviétique, au Rwanda, au Darfour sans que l’ONU ne bouge. Je n’arrêtais pas d’y penser. J’étais dans un état de fureur incroyable. Je me suis senti tout petit et tellement impuissant. Alors je me suis posée la question suivante : l’ONU s’est-elle montrée à la hauteur de ses idéaux fondateurs ? N’avait-elle pas été créée pour anoblir l’humanité ? »
Le sujet étant difficile, il fallait que le film soit à la fois intéressant et divertissant. Ami Horowitz et Matthew Groff ont su mêler habilement humour corrosif et information. Le film dévoile et expose les vues de diplomates rompus à l’exercice de la langue de bois au cours d’interviews surréalistes. En revanche, celles de Charles Duelfer, ancien inspecteur de l’ONU en armement ou de James Woolsey, ancien directeur de la CIA illustrent parfaitement les raisons pour lesquelles la première des organisations humanitaires est devenue un club de dictateurs qui font la pluie et le beau temps au gré de leurs intérêts nationaux, et sèment le chaos et la discorde mondiale. Le spectateur oscille constamment entre une hilarité teintée d’amertume, et l’incrédulité devant l’absurdité des réponses de diplomates tout droit sortis d’un film des Marx Brothers. Le film est une satire impitoyable d’une institution gangrénée par la culture du secret au point d’en devenir opaque.
Incrédule, le spectateur apprend, entre autre, comment le plus important programme humanitaire jamais imaginé, le programme pétrole contre nourriture, est devenu la plus grande escroquerie de tous les temps, et comment l’ONU n’a jamais sanctionné les coupables. Le comique de la situation n’est jamais loin, notamment lorsque Horowitz demande à un diplomate iranien de s’expliquer sur la pendaison des homosexuels dans son pays. « Il y eut des moments difficiles, dit-il. Vous êtes assis en face de l’ambassadeur du Soudan ou à l’ambassade d’Iran. Vous faites face à ces gars-là et vous vous dites que tout peut aller de travers.  »
Pourtant Ami et Matthew ne sont pas pessimistes. L’ONU peut être sauvée. Il lui faut pour cela respecter sa charte. Une charte dont elle a fini par oublier les grands principes. L’ONU dit Ami, fonctionne sur l’idée que toutes les nations doivent coexister et recevoir un traitement égal. Une grave erreur selon lui, qui conduit à une défaillance du système de l’institution. Une réforme en bonne et due forme est nécessaire. L’ONU en aura-t-elle le courage ? « Au sein des Nations Unies, même pour la plus grave des infractions, il n’y a aucune sanction. Pas un seul membre de l’ONU n’a été expulsé », explique Ami.
Un matin gris d’octobre, alors qu’Ami quittait son appartement de l’Upper West Side de Manhattan pour se rendre sur le tournage, un homme est venu vers lui. « Êtes-vous Ami Horowitz, lui a-t-il demandé, avant d’ajouter : « vous souciez-vous plus de votre film que de votre femme et de vos enfants ? »
L’ONU serait-elle aussi devenue un club de voyous ?
Célhia de Lavarène, Nations Unies, New York 1 juin 2012