C’est ce qu’a déclaré Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations Unie lors de l’ouverture de la 57e session annuelle de la Commission sur le statut des femmes qui réunit plus 6.000 représentants de la société civile. « C’est le plus grand rassemblement international jamais organisé pour mettre fin aux violences contre les femmes », a souligné la directrice exécutive d’ONU Femmes, Michelle Bachelet qui a rappelé que la réunion se tenait dans un contexte de mobilisation après l’attaque des talibans contre l’adolescente pakistanaise Malala Yousafzai et le viol collectif d’une jeune Indienne en décembre dernier. « Bien que 160 pays aient adopté des lois contre ces exactions, « l’impunité est encore la norme, pas l’exception », a-t-elle déploré.
Si aujourd’hui, dans la plus grande partie du monde, les femmes jouissent de droits qui leur était auparavant interdits, les discriminations, les dénis de droits et les violences sont encore en vigueur dans bon nombre d’États où les discriminations à l’égard des femmes sont inscrites dans les lois nationales. En l’absence de législations sanctionnant toutes les formes de violences à l’égard des femmes et compte tenu des obstacles à la justice auxquels sont confrontées les victimes dans de nombreux pays, les auteurs de telles violences jouissent d’une impunité généralisée.
En dépit de la multiplication de déclarations au niveau international, la volonté politique nécessaire à l’application de ces engagements fait défaut. Quelques femmes font entendre leurs voix au mépris des dangers auxquels elles s’exposent. La tunisienne Bochra Belhaj Hmida en fait partie. Avocate, féministe et co-fondatrice de l’AFTD (Association tunisienne des femmes démocrates), elle défend le CSP (Code du Statut personnel) qui regroupe un ensemble de lois progressistes qui permet aux femmes le droit de s’instruire, de voter, de divorcer, et interdit le mariage forcé et la polygamie. Bochra est devenue une figure emblématique dans son pays, lors de la chute de Ben Ali. Depuis l’arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda, elle continue sa lutte pour les droits des femmes, ce qui lui a valu en août 2011, d’être menacée de mort, ce qui ne l’a pas empêché de déposer plainte contre le prêcheur égyptien Wadji Ghonim qui a appelé au jihad le 15 février 2012, ni de défendre la jeune Mariam, violée par deux policiers en septembre dernier, et accusée d’atteinte aux bonnes mœurs.
Elle concède que depuis l’arrivée au pouvoir d’Ennahda, les droits des Tunisiennes sont menacés, pourtant, explique-t-elle, « Ce n’est pas si simple. La Tunisie et les femmes tunisiennes ont toujours été à l’avant-garde des droits dans le monde arabe. Pour preuve, elles ont été aussi à l’avant-garde de la révolution et elles continuent à l’être dans toutes les occasions. » Si au plan légal les femmes tunisiennes ont toujours eu des droits, c’est parce qu’elles ont milité pour ces droits. « Depuis la révolution, avec le courant islamiste de droite, il y a une vraie diabolisation des femmes parce que, quand on veut remettre en cause la république en Tunisie, on commence par un de ses fondements. Or les droits des femmes en Tunisie, ont été un fondement de la république, », assure-t-elle. Pour elle, il y a une tentative réelle de remise en cause des droits des femmes, que ce soit à travers la constitution, à travers les discours qu’on essaie même de relayer aux enfants, ou à travers les programmes politiques et économiques qui sont en contradiction avec la révolution. « Mais ce qui est extraordinaire, et c’est pour cela que ce n’est pas aussi simple, c’est qu’il y a une résistance exceptionnelle des femmes et des hommes pour qu’aucun changement n’ait lieu mais pour que progressent les droits des femmes. »
Ces islamistes, qu’elle préfère appeler conservateurs de droite ont découvert que la Tunisie n’était pas facile à changer. « S’ils veulent rester au pouvoir, s’ils veulent être réélus, ils doivent changer et accepter le fait que la Tunisie a une histoire et qu’elle va en progressant pas en régressant », explique-t-elle.
Comment voit-elle l’avenir de son pays ? Trouve-t-elle qu’il y a plus de femmes voilées et radicales qu’avant la révolution de jasmin ? « La démocratie permet à chacun de s’exprimer, de se vêtir comme il veut », rétorque-t-elle. « Je pense que les femmes, même celles qui portent le voile, ne sont pas dans le projet islamiste. Elles sont dans la rue, contre le projet islamiste. Chaque jour, il est clair que la majorité des femmes tunisiennes est attachée aux droits, à sa liberté, à l’individualité même de chaque femme. Je pense que c’est un combat qui n’est pas facile, mais que nous avons beaucoup de chances de gagner, et ce, malgré les moyens dont disposent les islamistes, -qui sont des moyens financiers, des moyens occultes dont l’origine est douteuse. Aujourd’hui, eux-mêmes reconnaissent qu’ils n’ont pas le choix et que la Tunisie n’est pas une proie facile. J’ai par conséquent bon espoir parce que mon pays est un pays exceptionnel. »
Pas étonnant qu’après la révolution de Jasmin, le réalisateur Jilani Saâdi lui ait consacré un documentaire intitulé « Bochra. », tout simplement.
Célhia de Lavarène