ALINE KUNDIG, PHOTOGRAPHE GENEVOISE par Frédéric Elkaïm
Aline Kundig est une artiste rare dans le champ actuel de la photographie et des arts plastiques, parce qu’elle est avant tout une femme libre qui cherche et qui trouve, avec une sensibilité personnelle revendiquée et un rapport à l’universel très personnel. Découvrons son travail et cet univers.
La photographie comme portrait à fleur de peau
Depuis sa plus tendre enfance, elle entretient un rapport au réel qui dit bien son désir poétique de sublimation à travers les éléments, la nature, le paysage et les gens. Nantie d’un diplôme de photographe, elle commence très vite à alterner travail de commande pour différents studios et magazines prestigieux et explorations personnelles qui se poursuivent au long cours dans un travail sans cesse « in progress ». Paris, Zurich puis de nouveau Genève où elle pose finalement ses valises, elle s’invente un nouveau procédé artistique en se rapprochant des éléments les plus concrets de son environnement et atteste de manière singulière de ce qu’elle vit à titre personnel, dans ses propres « mythologies individuelles ». Ce seront d’abord des clichés performatifs sur la ligne de train de petite ceinture quasi abandonnée à Paris, des natures mortes de fleurs dans son appartement à Zurich, ponctués par des grands voyages où elle pose partout le voile mystique de sa série de « souffles », d’une beauté noire et blanche à couper le souffle, dans les paysages les plus inspirants, depuis les confins du nord et jusqu’aux grands déserts du sud.
Récemment elle a entrepris un pèlerinage sur le Chemin de Compostelle (3500 kilomètres en voiture aller-retour !) pour photographier des stations … Shell (oui, Shell, « coquille » en anglais, coquille Saint-Jacques, bien sûr), « un road trip de Composhell », dit-elle avec humour.
Et puis bien entendu il y a ses portraits qui sont chacun de petits miracles d’approche et de délicatesse entre l’œil de la photographe et son modèle, capté dans les petites choses de sa vie mais attestant pourtant de la profondeur artistique qui l’habite. Une photographie qui devient alors à la fois silencieuse et mélodieuse, à l’instar de ses nombreux portraits de musiciens ou d’artistes célèbres.
Derrière la délicatesse, l’exorcisme et la mort
Le travail d’Aline Kundig à travers trente ans de recherches, doit d’abord se comprendre comme une tension contradictoire féconde. Entre un succès attesté à travers les prix et les commandes prestigieuses et une démarche modeste ; entre l’espace infini et l’infiniment proche et subtil ; entre un séduisant noir et blanc, esthétique même du medium photographique et des sujets troublants, radicaux, porteurs d’une réflexion sur la colère et la mort, dépassant largement le « cliché » : dans ses plus inquiétantes séries, elle flirte volontiers avec une approche douce, brillante, presque kitch, faisant flamboyer la couleur et la lumière sur un sujet pourtant volontiers mortifère. Images jamais résolues de ces jeunes filles sages, apprêtées comme des gisantes dans les « Envolées » ; images mystères aux cadavres d’animaux à peine perceptibles dans « Déconstructions », compositions baroques évoquant à la fois les fêtes de Noël et la colère de l’abattoir. Il s’agit pour elle de nous donner à voir dans le même temps ses propres tourments ou encore ses « visions » mais aussi de les ouvrir vers l’universel dans un chassé-croisé paradoxal entre séduction et dérangeante étrangeté. Car il ne faut pas s’y tromper. Si Aline Kundig est absolument photographe dans son rapport poétisé au réel, elle est surtout une artiste qui utilise toutes les ressources plastiques qui s’offrent à elle. Ainsi de la large palette de ses expérimentations : travail « textile » de sacs de filles (toujours du côté féminin inconvenant) récupérés de différents vêtements (bézenville) ; sculptures « Croix » faites à partir de tous les matériaux imaginables et qui questionnent avec humour la spiritualité dans son rapport à notre modernité superficielle et parfois absurde ; collages de toutes natures et tant d’autres projets qu’elle aborde avec son regard sans cesse émerveillé.
D’art en arbres
Il serait donc vain de vouloir à tout prix résumer en une seule phrase ce travail qui embrasse tant d’approches formelles et narratives. Cependant s’il fallait le qualifier d’un seul mot utilisons celui-ci : libre ! Il ne s’agit pas là d’une liberté abstraite et sans contrainte, mais au contraire d’une liberté ancrée, enracinée à la terre. Car Aline Kundig, au-delà de l’artiste et de la femme, est avant tout une habitante de la Terre à laquelle elle se relie en toute occasion. En atteste sa relation au voyage contemplatif, comme sa pratique de la méditation autour de la nature et des arbres qui ont toujours été la sève lui permettant de créer et de vivre. Il y peu, elle réalise un livre, déchirant pour elle, autour de l’abattement d’une série d’arbres majestueux pour construire une maison de retraite. C’est toute la mémoire de ces « bouquets d’âme » qu’elle mesure et enregistre dans le long processus de destruction et de remplacement qui témoigne d’un changement d’ère. Et puis il y a ces arbres dont elle s’approche en ce moment avec l’émotion d’une amoureuse, qu’elle entoure de ses bras comme elle les enveloppe de ses images, moments nocturnes essentiel où l’hiver et le silence laissent la place aux chuchotements. Ce sont de fascinantes présences et des totems pour refonder un nouveau rapport au monde. Enfin elle réalise actuellement en parallèle un documentaire photographique juste en bas de chez elle, sur l’étonnante personnalité de Marie-Jo, une femme âgée, puissante dans sa basse-cour, une femme qui fait défiler de vastes souvenirs, une femme cultivée, farouche, et… libre. Tout comme l’a toujours été notre artiste, au sens profond du terme !
- Frédéric Elkaïm
Expositions 2022 :
- « Tout contre la Terre – About Flying « au Museum d’Histoire Naturelle, Genève jusqu’au 6 novembre 2022
- « Arbres » au Manoir à Cologny sera jusqu’au 6 février 2022.
- « Pompistes, le manifeste » à la galerie Andata Ritorno, Genève du 21 avril au 1er mai 2022
ci-après:
- Photo 1. « Portrait d’arbres », Italie 2019
- Photo 2. Aline Kundig, photo : Nicolas Spuhler
- Site d’Aline Kundig : www.alinekundig.com et Instagram aline_kundig