La force G5 Sahel : des dérapages incontrôlés. Retour sur une idée qui peine à voir le jour.
En 2015, les militaires français du Ministère de la défense décident qu’il est temps de se désengager du Mali. L’opération coûte cher en hommes, (4000 soldats français y sont stationnés) et au plan financier. Le concept plait instantanément au Quai d’Orsay. « L’idée, c’était de dire aux africains -il est temps de prendre votre sécurité en main, et de vous unir pour lutter contre les groupes terroristes qui pullulent sur votre sol.- Nous avons offert de leur envoyer des conseillers pour coordonner et standardiser l’opération, » explique alors une source proche du Ministère de la défense. Le but : que les africains prennent en charge une partie des opérations de paix, en partenariat avec les Opérations de Maintien de la Paix de l’ONU. Une utopie pour de nombreux observateurs.
Entre 2015 et 2016, les progrès sont lents. Quelques pays africains sont opposés à la création d’une telle force, tandis que d’autres, -non-membres du G5-, aimeraient en faire partie. La France privilégie l’idée d’une force restreinte estimant que si trop de pays y participaient, l’action serait ralentie.
Début 2017, le principe de la force G5-Sahel est approuvé. Le concept de l’opération est rédigé par les militaires français. En mai, le président Macron est élu. Ses conseillers lui « vendent » l’opération, comme une force qui viendrait épauler à la fois les casques bleus de la MINUSMA et Barkane, et dont le rôle serait de limiter les flux transnationaux terroristes et criminels. Pour le président français, il s’agit non seulement de porter ‘un coup d’accélérateur’ au projet, mais également de conjuguer sécurité et développement, -« si l’on veut que le projet réussisse, » explique un diplomate français.
En juin 2017, la France réalise que l’opération pourrait bien se révéler plus couteuse que prévue et propose de la porter devant le Conseil de sécurité de l’Onu, sous chapitre 7, ce qui confèrerait une autorisation plus pérenne à la force, et ouvrirait la voie à un financement. Paris sait pertinemment que le projet de résolution ne sera pas adopté en l’état. « Ce sont les africains qui souhaitent obtenir un mandat sous chapitre 7, » explique alors un proche du Quai. Si 14 membres du Conseil et l’Union Africaine se prononcent en faveur de l’opération, les Etats Unis, pour des raisons idéologiques, menacent de mettre leur veto, estimant que ce n’est pas à l’Onu de piloter la lutte contre le terrorisme. Paris retire son projet et le réintroduit sous chapitre 6, plus politique. Le Conseil de sécurité déclare que c’est une bonne initiative. Les africains sont furieux. Ils espéraient recevoir de l’argent et réalisent qu’ils n’en auront pas. Paris les rassure.
Septembre 2017 : Assemblée Générale de l’Onu : la réunion des pays qui vont composer la force du G5 Sahel, -parrainée par le président français dont c’est la première AG- se tient dans une cacophonie sans précédent. Le président tchadien Idriss Deby ne prend pas la peine de venir et délègue un de ses ministres. Les présidents du Burkina Fasso, Niger, Mauritanie et Mali, hésitent. Ils ne voient pas la raison pour laquelle ils viendraient aux Etats Unis s’ils ne repartent pas sans avoir la certitude d’obtenir des fonds. Agacée, la France demande au président malien IBK (Ibrahim Boubacar Keīta) de faire pression sur eux afin qu’ils fassent acte de présence, ce qu’ils voient d’un fort mauvais œil, reprochant à IBK de ne pas s’impliquer dans la lutte contre le terrorisme.
Octobre 2017 : voyage des membres du Conseil de sécurité au Sahel, organisé à l’instigation de la France. Si ce déplacement ne parvient pas vraiment à convaincre les américains, il donne une impulsion politique au projet. Nikki Haley, la représentante américaine, qui n’a pas fait partie du voyage, refuse toujours que l’Onu finance une opération africaine sur laquelle Washington n’aura aucun contrôle et confie, en coulisses, que son pays ne fait pas confiance aux africains. Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian est de retour à New York. Officiellement, il vient pour clôturer la présidence française du Conseil de sécurité. Officieusement, il vient pour tenter de persuader les Etats Unis que la MINUSMA devrait aider la force G5 au plan logistique.
Les relations entre les pays du G5-Sahel ne sont pas des meilleures : la Mauritanie méprise le Mali dont l’unique préoccupation est de se maintenir au pouvoir en évitant de mettre en œuvre l’accord de paix d’Alger, et se préoccupe plus des élections qui auront lieu en 2018. Le Niger fait face à des manifestations importantes qui dérapent souvent. Le Tchad doit prendre en compte les problèmes au sud libyen, -en plus de ses problèmes financiers, de ses démêlés avec la Centrafrique et avec Boko Haram. Le Burkina, dont la paix est fragile, est en proie à des attentats.
Bien qu’une résolution technique ait été adoptée par les membres du conseil de sécurité, beaucoup pensent que la création de la force G5-Sahel relève de la pure fiction et sera « une illusion et un surcroit de travail pour Barkane, » comme le confiera « off the record » un proche de Le Drian.
Janvier 2018, Kagamé prend la présidence de l’Union Africaine et dénonce d’emblée l’initiative française. A la même période, un proche d’Alpha Condé et de Kagamé prophétise : « Il y a fort à parier que le G5 ne verra jamais le jour. C’est de la pure démagogie. Nous n’avons pas besoin de vous. D’ailleurs, c’est l’Afrique qui finance l’Union Africaine. » Ce qui est faux puisque c’est surtout l’Union Européenne qui finance l’opération et coordonne l’aide.
Le budget initial de 330 millions de dollars pour 5,000 hommes continue de poser problème. Après moult hésitations, Les Etats Unis ont finalement accepté de participer à hauteur de 60 millions, en bilatéral seulement. L’Union Européenne participera à hauteur de 50 millions d’euros et la France, devrait donner 8 millions en matériel. L’Arabie Saoudite devrait contribuer pour 100 millions de dollars. Il est par ailleurs demandé à chaque pays du Sahel de donner 10 millions d’euros. Les africains sont furieux. Au Conseil de sécurité les questions fusent: qui va gérer les contributions, la logistique ? Sur quel compte ira l’argent, et qui soutiendra une opération que l’Onu n’a toujours pas endossée ?
En février 2018, le Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique titre : « Le G5 Sahel accroît sa force conjointe de sécurité afin de répondre à la menace posée par les groupes de militants islamistes au Sahel. La force est en train de devenir le point central des efforts de sécurité transnationale dans la région.” « De quelle force parle-t-on, » commente, perplexe un diplomate européen. De fait, chaque Etat membre devrait envoyer environ 800 soldats par bataillon.
La pilule est amère pour les français qui, au fil des mois, doivent se rendre à l’évidence : les africains ne sont pas sur la même longueur d’onde. Pourtant, la France s’entête et persiste dans un projet qui ne fait toujours pas l’unanimité parmi les membres de la Communauté internationale. Les chinois et les américains qui, depuis le début pensent que l’opération est vouée à l’échec, sont toujours opposés à une force africaine.
Au fil du temps et des problèmes, le discours officiel de l’Elysée change. Prudents, les bailleurs internationaux ont fait en sorte qu’une partie de l’argent déjà récolté transite par l’Union Européenne. De quoi provoquer un peu plus l’ire des africains qui pensaient se remplir les poches.
Juin 2018 : trois jours avant la rencontre à Nouakchott entre le président français et ses homologues du G5, -en marge du sommet de l’Union Africaine,- le quartier général de la force conjointe du G5 à Sévaré est la cible d’une attaque qui fait trois morts et plusieurs blessés. Lorsque le nouveau patron de la Force, le général mauritanien Hanana Ould Sidi prend ses fonctions en septembre 2018, rien ne fonctionne. Non seulement le QG a été détruit dans l’attentat mais les 423 millions de dollars promis par l’Union Européenne, les Emirats, l’Arabie Saoudite, les Etats Unis et la France ne sont toujours pas versés. Les africains s’impatientent.
2019 : un haut fonctionnaire français déclare la force opérationnelle. Il balaie d’un revers de main les questionnements des membres du Conseil de sécurité, ainsi que ceux de quelques diplomates du Quai, quant au bien-fondé d’un projet qui s’est construit avec des pays dont les capacités sont limitées. « Nous avons réalisé des succès importants. Des contingents sont déployés. Nous avons un QG à Bamako et des PC sectoriels sur chacun des trois fuseaux. La force G5 est une réalité, » martèle-t-il. Pour s’en convaincre ? Le commandant de la force le lui a assuré: 75% des bataillons prévus sont opérationnels. « Cela ne veut pas dire que les capacités de ces bataillons ont miraculeusement évolués depuis les deux derniers mois. Mais le concept de la force existe,» ajoute-t-il. Le concept peut-être, mais le nombre d’hommes, sûrement pas. Personne, ni au Quai d’Orsay, ni sur le terrain, n’a été capable de donner le chiffre exact de la composition de chaque bataillon. A ce jour, il semblerait que le chiffre de 5,000 est loin d’être atteint d’autant que le Burkina Fasso, n’aurait envoyé aucun soldat.
29 mars 2019, de passage à New York pour la présidence française du Conseil de sécurité, le Ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian insiste : il n’y a pas d’exemple dans l’histoire, d’une force conjointe créée en si peu de temps. Selon lui, depuis le début de l’année, 5 opérations ont été réalisées par les hommes du G5-Sahel. Les experts se gaussent: « De quelles opérations parle-t-il ? Oui effectivement, ils sont sortis. Ils ont fait cinq fois le tour du désert. Ils n’ont aucun moyen de communication si ce n’est What’sApp. »
Les bailleurs de fonds trainent les pieds. Les européens sont parvenus à faire comprendre aux présidents du G5-Sahel que l’ampleur du soutien international dépendra du respect de certains critères, dont les droits de l’homme. «Des premiers soutiens ont commencé à être décaissés, notamment les per diem destinés aux officiers des différents pays du G5 qui sont déployés. Les équipements de protection individuels ainsi que certains matériels de communication vont être délivrés sous peu. Nous espérons qu’il y aura plus de décaissement cette année. Ce qu’on souhaite, c’est que le G5 commence à lancer des opérations au fur et à mesure qu’il reçoit des soutiens logistiques et financiers, admet un diplomate. Pour lui, une opération telle que la MINUSMA déployée dans un pays comme le Mali, ne peut réussir seule. « Elle a besoin d’autres types de présence pour l’aider. « C’est un partenariat. Une formule de maintien de la paix moderne. Si vous me demandez si on travaille sur une solution d’avenir autonome d’ici 10-15 ans, la réponse est oui, » admet, désabusé, un haut fonctionnaire qui reconnaît que Barkane devra rester au Mali le temps qu’il faudra. Actuellement, 4500 militaires français sont déployés au Sahel dans le cadre de l’opération Barkane basée sur le partenariat avec les principaux pays de la région pour lutter entre autre, contre les groupes armés terroristes.
Quelques infos: La force G5-Sahel ce n’est pas seulement une première dans l’histoire, c’est aussi la première fois qu’un programme d’investissement prioritaire coordonné entre cinq pays existe. Pour lutter contre le terrorisme, il y a plusieurs types de présence: la force de maintien de la paix de l’ONU, la force Barkane, la mission européenne qui forme les contingents nationaux. Chaque participant poursuit le même objectif qui est le soutien à la mise en œuvre de l’accord de paix et la stabilisation de la région. Le plan à moyen terme : à mesure que les capacités nationales ou régionales augmenteront, celles des présences internationales évolueront.
- Célhia de Lavarène
- Mai 2019