Interview de Jean Martin Tchaptchet auteur

Interview de Jean Martin Tchaptchet — auteur de “ La Marseillaise de mon enfance “ et de “ Quand les jeunes Africains créaient l’histoire “

Il est un témoin privilégié de l’histoire de la lutte anticolonialiste des étudiants africains en France de 1952 à 1960, et un témoin du mouvement panafricain tel qu’animé par Kwame Nkrumah de 1962 à 1965.

Monsieur Tchaptchet est né à Bangangté (Cameroun). Il y a fait ses études primaires, puis fut l’un des sept premiers Camerounais ? fr ?quenter ? Yaound ?, le m ?me cours secondaire que les petits Europ ?ens de la colonie. Il a ensuite poursuivi ses ?tudes sup ?rieures, successivement ? la Facult ? des lettres de Clermont-Ferrand (1952-1960) ; au Polytechnic of Central London (1973) ; ? l’ Institute of Social Studies, La Haye (1976 et 1978). Son parcours est long et impressionnant. On peut citer entre autres qu’il fut ? diverses ?poques de sa vie, responsable de la F ?d ?ration des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), de l’Union nationale des ?tudiants du Cameroun (UNEC), et ancien pr ?sident de la Section de France de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Directeur du journal  » Le Patriote camerounais  » ? Clermont-Ferrand, Compagnon de lutte de F ?lix-Roland Moumi ?, pr ?sident de l’UPC assassin ? ? Genève en novembre 1960, il fut expulsé de France en février 1961 ? la suite des manifestations organis ?es par la FEANF pour protester contre l’assassinat de Patrice Lumumba. Exil ? au Mali de Modibo Keita, en Guin ?e de Sékou Tour ? et au Ghana de Kwame Nkrumah. Membre du groupe de conseillers africains de Kwame Nkrumah. Directeur de  » La Voix du Cameroun « , Rédacteur au journal ghanéen  » L’Etincelle  » à Accra, il fut arr ?t ? et emprisonn ? au Ghana après le coup d’ ?tat de 1966 qui renversa le Président Nkrumah du Ghana. Lib ?r ? apr ?s 13 mois. Ancien fonctionnaire du Centre africain de formation et de recherches administratives pour le développement (CAFRAD) ? Tanger (Maroc) et du Bureau international du travail (BIT) ? Genève. Retrait ? en 1994. Rapporteur de la Commission Paix et r ?conciliation pendant les n ?gociations politiques inter-congolaises ? Sun City en Afrique du Sud. Membre du Comit ? du suivi de l’Appel des Intellectuels africains pour la paix en Côte d’Ivoire.

Les deux livres qu’il a publi ?s successivement en 2004 et 2006 sont de pures merveilles. Dans  » La Marseillaise de mon enfance « , il fait le r ?cit de l’enfance et de l’adolescence du jeune Tchaptchet qui se déroulent pendant et après la deuxième Guerre mondiale alors qu’il fait l’ ?cole primaire et le cours secondaire en observant avec ses yeux de cette ?poque, les aspects traditionnel, familial, colonial, missionnaire, etc. de la société dans laquelle il vit. Le deuxième tome de son autobiographie,  » Quand les jeunes Africains cr ?aient l’histoire « , bien plus d ?taill ? au niveau des faits historiques, relate la p ?riode riche, exaltante et glorieuse de la participation des ?tudiants Africains en France ? la lutte de  » lib ?ration  » qui va jusqu’en 1960, et le d ?but de son exil. Pour ceux qui souhaitent se plonger dans l’histoire de l’Afrique moderne, ces deux livres fournissent des clefs pour sa compr ?hension et sont absolument des must. Bien qu’ici et l ?, Tchaptchet d ?taille davantage le cas du Cameroun, leur lecture peut servir de r ?f ?rence pour la compr ?hension des autres pays africains francophones. Nous avons souhait ? savoir d’avantage et Jean Martin Tchaptchet a gentiment accept ? de nous rencontrer pour parler de sa vie, de son exp ?rience et de son Afrique…
Q : Dans vos livres, vous parlez d’une p ?riode que les gens connaissent peu. Pourquoi avez-vous ?crit ces livres et qu’esp ?rez-vous obtenir ?
J’ai ?crit ces livres pour donner ? mes enfants et aux enfants de la m ?me g ?n ?ration, des ?l ?ments qui leur permettent de se situer dans un pass ? qu’ils ne connaissent pas et que l’on n’a pas ?crit. Je les ai aussi ?crits car je me suis trouv ? en situations de pionnier dans plusieurs circonstances importantes et j’ai tenu ? t ?moigner. J’accomplis un devoir de m ?moire afin d’aider ? une meilleure connaissance de ces ?poques. En d’autres termes, je veux contribuer ? l’enrichissement des sources de l’ ?criture de l’histoire de mon pays et de l’Afrique. Jusqu’ ? pr ?sent, cette histoire a ?t ? ?crite ? partir de sources biais ?es et partiales si on peut s’exprimer ainsi : sources des administrateurs de colonies, des colons, des missionnaires, des explorateurs ou de certains autocrates africains dont les intentions et les visions de l’Afrique ne correspondaient pas, et ne correspondent toujours pas aux besoins et aux valeurs de progr ?s des peuples d’Afrique. Pour reprendre et compl ?ter ce que j’ai d ?j ? dit, la relation de mon v ?cu ? l’ ?poque coloniale en Afrique et en France, permettra ? mes enfants et aux enfants de la m ?me g ?n ?ration d’appr ?hender leur pass ? dans sa globalit ?, de mieux comprendre leur pr ?sent incertain et d’oeuvrer pour un avenir qu’ils seraient en mesure de contribuer ? ma ?triser.
Q : Vous ?tes toujours parmi les pionniers et pensez-vous que la culture traditionnelle africaine a ?t ? en quelque sorte laiss ?e pour compte dans votre ?ducation ?
Oui je ne peux pas nier cela. La colonisation est une ?preuve de force qui d ?truit l’ ?volution normale des institutions d’une soci ?t ?, d’un pays – quel que soit leur niveau. En imposant la culture et les valeurs du pays colonisateur, la colonisation d ?truit celles du pays conquis. Et puisque ? l’ ?poque coloniale, nous avons fr ?quent ? les ?tablissements d’enseignement primaire, secondaire et sup ?rieur du colonisateur, c’est- ?-dire des ?tablissements qui n’ ?taient pas con ?us pour nos peuples, mais plut ?t pour assurer le rayonnement, la puissance et les int ?r ?ts de la colonisation, nous avons en tant qu’Africains, inconsciemment contribu ? au recul et ? la d ?stabilisation de nos cultures traditionnelles. Une certaine prise de conscience de cet ?tat de choses se d ?veloppant graduellement depuis la lutte de lib ?ration, elle s’accentue aujourd’hui et l’on assiste depuis quelque temps au d ?veloppement d’un mouvement de reconqu ?te, de revalorisation et de renaissance de ces cultures l ?.
Africains
Q : Vous avez particip ? ? la lutte pour l’ind ?pendance de votre pays. Pensez-vous que les pays Africains ?taient pr ?ts pour l’ind ?pendance ? Et est-ce que vous pensez que le mod ?le occidental de d ?mocratie est  » exportable  » ?
Je ne crois pas qu’il faille poser votre premi ?re question comme vous l’avez fait, car, comme je l’ai dit pr ?c ?demment, la colonisation n’ ?tait pas une ?uvre de charit ? ou de bienveillance. Elle n’ ?tait point une entreprise visant ? pr ?parer les peuples colonis ?s ? l’ind ?pendance. Elle ?tait encore moins un projet de civilisation ayant pour but de former les peuples africains ? vivre d ?mocratiquement. La v ?rit ? est que ce sont des dirigeants africains qui, ayant pris conscience de la nature exploiteuse et dominatrice du colonialisme, ont organis ? leurs compatriotes et les ont conduit dans des luttes qui leur ont permis de gagner l’ind ?pendance. On ne peut pas dire s’ils ?taient pr ?ts ou pas pour cette ?tape de leur histoire. Tout comme ? un moment de l’histoire de l’humanit ?, les Europ ?ens ont r ?ussi ? conqu ?rir l’Afrique et ? la dominer, de m ?me, les peuples africains, au fil du temps, ayant pris conscience de leur situation, ont pos ? des revendications, se sont battus par divers moyens, et le rapport des forces ayant tourn ? en leur faveur, ils ont reconquis leur ind ?pendance et leur souverainet ?. Les pays africains sont devenus ind ?pendants, les uns dans des conditions de pleine souverainet ? conform ?ment ? la Charte de l’ONU ; les autres dans le cadre d’accords l ?onins sign ?s avec la puissance coloniale et portant atteinte ? leur souverainet ?.
Au cours des quarante ann ?es pass ?es, les pays africains, dans la diversité de leur évolution, ont acquis diff ?rentes exp ?riences plus ou moins heureuses. Dans une première phase, beaucoup d’entre eux ont v ?cu sous le syst ?me du parti unique, c’est- ?-dire d’un Etat fonci ?rement autoritaire et anti-d ?mocratique. Peu d’entre eux ont initi ? une exp ?rience du multipartisme politique et du respect des libert ?s. A la fin de la Guerre froide, nous avons assisté à une véritable explosion des aspirations des populations et des ?lites ? la jouissance des libert ?s d ?mocratiques longuement ?touff ?es.
C’est dire que chaque pays doit se battre pour acqu ?rir son type de d ?mocratie. En Europe par exemple, ce sont les Anglais qui, avec la Magna Carta au d ?but du treizi ?me si ?cle, et l’Habeas Corpus au dix septi ?me si ?cle furent les premiers ? mettre en place les principes fondamentaux du fonctionnement d ?mocratique de l’Etat face ? l’autocratie et ? l’arbitraire de la monarchie. Alors que les Fran ?ais ont v ?cu pendant plusieurs si ?cles sous le r ?gime d’un monarque de droit divin, et il a fallu attendre jusqu’ ? la r ?volution de 1789 pour voir émerger la d ?mocratie en France.
L’ ?volution politique en Angleterre a renforcé la culture d ?mocratique tout en gardant la monarchie, tandis que en France, elle est pass ?e de l’abrogation de la monarchie ? l’instauration de la R ?publique. C’est dire que le mod ?le d ?mocratique, quel qu’il soit, n’est pas exportable. Les libert ?s premi ?res sont celles d’expression et d’opinion. Leur utilisation permet ? chaque peuple de se doter des institutions qui serviront au mieux le bonheur de ses citoyens et de ses citoyennes. Les conflits r ?cents ou en cours dans des pays africains, sont autant de luttes des peuples de ces pays pour d’une part, sauvegarder leur ind ?pendance et leur souverainet ?, et d’autre part asseoir leur jouissance des libert ?s d ?mocratiques.
Q : En lisant vos livres, on se rend compte que vous faisiez partie de l’ ?lite et que vous ?tiez privil ?ges par rapport ? vos camarades, est- que vous en ?tiez conscient ?
En tant que minorit ?s ? l’ ?poque coloniale, aussi bien ? l’ ?cole primaire, au cours secondaire qu’ ? l’universit ?, nous ?tions des privil ?gi ?s. Enfants et adolescents, nous n’en ?tions pas conscients. Mais c’est plus tard ? l’universit ? que les choses ont chang ?. Mon insistance dans  » Quand les jeunes Africains cr ?aient l’histoire  » ? d ?crire les itin ?raires tortueux que j’ai suivis en France parmi mes camarades de la fac, dans les associations la ?ques ou dans les paroisses protestantes et catholiques que je fr ?quentais, montre la difficult ? qu’affrontait l’ ?tudiant africain ? avoir un vrai dialogue en Europe. M ?me nos amis des partis politiques anticolonialistes n’allaient pas au fond des d ?bats et nous nous retrouvions ? entretenir des ?changes qui revenaient ? faire sur l’Afrique, des discours parall ?les, lesquels par d ?finition, ne se rencontraient pas. Et ma recherche de r ?ponses aux probl ?mes qui se posaient ? l’ ?poque, c’est- ?-dire ceux du droit des peuples ? disposer d’eux-m ?mes, de la pauvret ?, de la guerre froide, du racisme, etc. m’amena naturellement d’une part, ? la FEANF qui r ?pondait le mieux ? mes pr ?occupations morales et mat ?rielles ; et d’autre part ? l’UPC, le mouvement anticolonialiste de mon pays qui refl ?tait et incarnait les id ?aux du nationalisme et du panafricanisme de l’ ?poque.
Q : Est-ce que vous avez gard ? des liens avec votre village ?
Les souvenirs d’enfance sont des souvenirs tr ?s forts. Quand je vais en vacances avec mes enfants au Cameroun, le s ?jour avec eux ? Bangangt ?, mon village o ? se d ?roule une partie du r ?cit de  » La Marseillaise de mon enfance  » ne leur procure pas beaucoup d’ ?motions, tandis que moi, ? chaque pas, je trouve des souvenirs ind ?l ?biles. Avec mes amis d’enfance dont certains sont cit ?s dans le livre, je peux rester des journ ?es enti ?res ? rappeler des souvenirs intenses, ? ?valuer l’ ?volution, et ? jauger les transformations de notre village.
Je rends aussi visite au chef de mon village, le petit-fils de Njike Salomon dont j’ai amplement parl ? dans  » La Marseillaise de mon enfance « . Ce chef actuel, ing ?nieur agronome de formation, exerce diverses responsabilit ?s nouvelles parmi lesquelles la promotion d’un ?tablissement d’enseignement sup ?rieur de la soci ?t ? civile,  » L’Universit ? des Montagnes  » qu’il a accueilli g ?n ?reusement sur son territoire. Il doit g ?rer un h ?ritage d ?sormais fort complexe qui comprend entre autres la sauvegarde de notre culture traditionnelle face ? l’invasion, par des moyens puissants, en cette p ?riode de la mondialisation, de la culture dominante.
Car aujourd’hui, certains enfants du village ont les deux pieds tantôt dans la culture traditionnelle, tantôt dans la culture dominante et sont donc confrontés à des problèmes graves d’identité.
Pour savoir d’avantage et vous plonger dans l’histoire nous vous recommandons de lire les livres de Monsieur Tchaptchet. Ils sont publiés aux Editions, l’Harmattan à Paris. Bonne lecture !