Le Cameroun, “toute l’Afrique en un pays”, selon un slogan touristique, rassemble une grande diversité de peuples, de cultures et de paysages. La région des collines verdoyantes de l’Ouest appelée à juste titre “Grassfields” (ou “Grassland”) en raison de sa fertilité, est celle qui a connu l’un des niveaux les plus élevés de production artistique. Cette situation s’explique en grande partie par le fait qu’elle est constituée d’une myriade de petits royaumes dont les chefs sont assez puissants et respectés pour s’entourer (encore aujourd’hui) d’une cour et posséder des palais qui sont autant de témoignages d’un art très élaboré avec leurs piliers de bois sculptés, leur mobilier (dont de magnifiques tabourets), leurs objets d’apparat, sans oublier bien sûr les masques utilisés lors de diverses cérémonies et célébrations.
Le Musée Rietberg de Zurich rend hommage jusqu’au 25 mai à l’art de cette région grâce à une splendide exposition permettant de découvrir un pays mal connu du grand public. Pour le visiteur occidental, habitué à certaines conceptions de l’art et éloigné de la spiritualité ancestrale, approcher l’Art africain n’est jamais chose facile. Nous sommes surtout sensibles à l’esthétique des objets, ce qui n’est pas la préoccupation première du sculpteur africain qui cherche avant tout à investir ses oeuvres d’un grand pouvoir.
Pour compliquer un peu les choses (ou pour notre plus grand plaisir), l’art de l’Ouest camerounais constitue une exception dans le domaine africain en raison de son étonnante spontanéité et de son expressivité. On verra d’extraordinaires femmes à l’enfant qui semblent taillées sur le vif, les personnages des piliers de chefferies qui ressemblent à des acrobates en train d’exécuter des prouesses, des masques de personnages joufflus (signe de prospérité) surmontés d’un bonnet en forme d’araignée, d’autres, perlés, représentant des têtes d’éléphant avec de grandes oreilles et une longue trompe aplatie, sans oublier toutes ces figures de sages souriants, une main posée sous le menton, qui sont autant de petits penseurs de Rodin revus par l’Afrique. Autre surprise dans le contexte des arts dits “premiers”, on connaît souvent le nom des artistes qui ont exécuté ces oeuvres.
Il suffit de jeter un oeil aux salles africaines adjacentes pour réaliser immédiatement à quel point l’art des “Grassfields” est différent des autres dont on dira, pour généraliser, que la caractéristique essentielle est l’abstraction et qui a tant inspiré le mouvement cubiste (l’art du Gabon en est un parfait exemple).
La meilleure preuve de cette originalité de l’art camerounais est l’autre exposition du Musée Rietberg qui complète la première et qui est consacrée à l’influence de cet art sur Ernst Ludwig Kirchner, maître de l’expressionnisme allemand. Ce dernier, l’un des fondateurs de “Die Brücke”, un groupe d’artistes voulant valoriser justement la spontanéité et l’authenticité, possédait un tabouret-léopard du “Grassland” qu’il incluait régulièrement dans ses oeuvres, et créa plusieurs sculptures clairement inspirées de l’art camerounais.
Un grand nombre d’objets provient de musées allemands, ce qui s’explique par le passé colonial du Cameroun. On oublie parfois que l’Allemagne a exercé pendant plus de trente ans (1884-1916) sa domination sur le pays qui sera ensuite partagé entre l’Angleterre et la France avant son indépendance en 1960. Bien des responsables de l’administration allemande de l’époque reçurent des objets en cadeau. Seules deux oeuvres proviennent d’un musée camerounais, celui du Palais royal de Foumban. Il s’agit d’un musée absolument unique en Afrique. Accompagné par notre ami et compatriote Pierre Zumbach (voir son interview), nous avons eu la chance de visiter ce palais qui ressemble à une construction médiévale repensée par un baron prussien. D’ailleurs, il est directement inspiré de la maison d’un gouverneur allemand de Buéa au sud-ouest du pays. Ce palais, terminé en 1917, fut conçu par le roi Njoya, personnalité hors du commun qui créa pour son peuple (les Bamoun) outre cette étonnante construction, une écriture et même une religion syncrétiste. Notons que le Cameroun possède plusieurs très beaux musées dont celui des Arts et des Traditions bamoun, toujours à Foumban ; le Musée du Monastère bénédictin du Mt. Fébé à Yaoundé, et le Musée d’Art camerounais également dans la capitale. N’oublions pas non plus les quartiers d’artisans, celui de Foumban étant l’un des plus extraordinaires, preuve que l’art du Cameroun reste bien vivant et authentique.
Le visiteur de l’exposition du Musée Rietberg est accueilli par une oeuvre monumentale, le grand trône du Roi Nsangu. Il mérite tous les superlatifs et résume en quelque sorte l’art et l’histoire de l’Ouest camerounais. Offert par le fameux roi Njoya dont nous venons de parler, il s’agit du trône de son père. Il fut exécuté en 1870 par un artiste dont nous connaissons le nom, « nji » Nkome, et offert à l’Empereur Guillaume II en 1908. Recouvert de perles de verre colorées et de coquillages, il reprend la plupart des symboles du pouvoir (comme le serpent à deux têtes) et des constantes iconographiques (comme la main posée sous le menton). Il est impressionnant d’imaginer qu’aujourd’hui encore les rois du Cameroun prennent place sur des trônes similaires.
L’Art de l’Ouest camerounais : un Art Royal.
Jean-Michel Wissmer
Jean-Michel Wissmer
Exposition : « Cameroun : Art Royal » « Ernst Ludwig Kirchner et l’art du Cameroun » Mus ?e Rietberg, Gablerstrasse 15 8002 Zurich Du mardi au dimanche de 10h ? 17h (mercredi et jeudi jusqu’ ? 20h) Jusqu’au 25 mai