Sur la Goldene Küste du Lac de Zurich, à quelques minutes du centre de la trépidante et toujours impeccable cité alémanique, on ne s’attend pas à trouver un musée entièrement consacré à la culture des Amérindiens, le NONAM, “Nordamerika Native Museum”. S’il existe dans tous les musées d’ethnographie des sections consacrées à ces peuples, le NONAM est le seul en Europe, avec celui de Radebeul près de Dresde, à être consacré entièrement aux Indiens d’Amérique.
Serré entre la roche et les arbres, presque comme une caverne, et entouré de totems, le petit musée présente sur deux étages des objets d’une grande beauté et d’une grande valeur parmi lesquels on signalera notamment de magnifiques poteries pueblos, des poupées Katchina du Sud-Ouest américain (dont certaines de 1900, ce qui est fort ancien pour ces sculptures (1)), des bijoux sertis de turquoise, et des masques de la Colombie-Britannique. Il possède également une importante collection de dessins et d’aquarelles du peintre zurichois Karl Bodmer qui fait en ce moment, et jusqu’au 8 novembre (l’exposition a été prolongée), l’objet d’une grande exposition à l’occasion du 200ème anniversaire de sa naissance.
“Voyage à l’intérieur de l’Amérique du Nord” (“Reise in das Innere Nord-America”) est un classique de la littérature ethnologique et son illustration par Karl Bodmer l’un des sommets de la représentation des Indiens d’Amérique. Engagé par le prince Maximilien de Wied, éminent naturaliste, pour cette expédition au nord du Missouri entre 1832 et 1834, Karl Bodmer n’éxécuta pas moins de 400 dessins durant ces 28 mois où il rencontra les Indiens des Grandes Plaines et des Prairies américaines.
L’exposition présente la série complète des 81 planches de l’édition de 1839, ainsi que les objets ramenés par le prince (surtout de très belles robes en peau de bison tannée), et c’est un voyage fascinant à travers un monde aujourd’hui disparu (si ce n’est peut-être dans le Sud-Ouest), un monde pourtant bien vivant il y a encore moins de 200 ans.
On ne peut s’empêcher de penser à une autre entreprise colossale – et sans doute mieux connue du grand public -, celle de Edward S. Curtis qui, un peu plus d’un demi-siècle plus tard, photographia les Indiens de l’Alaska au Rio Grande (“The North American Indian”), nous laissant un témoignage exceptionnel sur ce peuple dont il savait qu’il contemplait les dernières manifestations authentiques. Car l’on se pose les mêmes questions en voyant les tableaux de Bodmer et les photos de Curtis : en découvrant ces visages extraordinaires comme taillés dans le bronze, avec leurs tatouages, leurs coiffes de plumes, leurs costumes et leurs mocassins somptueux, on se demande quelle est la part de romantisme et de goût pour l’exotisme folklorique ; où commence la représentation fidèle (“ethnologique ou scientifique”) et l’idéalisation esthétisante d’un peuple de fiers guerriers dont la noblesse semble nous ramener à la Rome impériale ou au Moyen-Age. Mais nous sommes aussi ramenés aux rêves qui accompagnaient notre enfance bercée par les westerns. A travers la danse du scalp, la chasse aux bisons, les sacrifices rituels et les rites funéraires, Karl Bodmer nous fait revivre ces moments intenses qui semblent culminer dans une étonnante gravure, celle de l’attaque du Fort Mackenzie quand, le 28 août 1833, des Indiens voulurent mettre à sac cette garnison.
L’un des tableaux les plus extraordinaires est peut-être “Intérieur de la cabane d’un chef Mandan” où l’on pénètre dans l’intimité d’une famille. Peaux de bêtes sur le sol, flèches et boucliers suspendus aux pieux soutenant la cabane, chiens et chevaux partageant le même toit, et les hommes fumant leur longue pipe.
Mais Bodmer et aussi un paysagiste hors pair : infinies prairies, profonds canyons, étonnantes formations rocheuses, vues du Missouri et chutes du Niagara, c’est toute une Amérique de légende qui défile sous nos yeux.
On le sent bien, Karl Bodmer était tombé amoureux de l’Amérique et des Indiens. Il pensa d’ailleurs s’y installer et y finir ses jours. Mais la vie en décida autrement : il rejoint l’école de Barbizon, peignant les paisibles sous-bois de la région de Fontainebleau, bien loin de la sauvage Amérique.
Jean-Michel Wissmer
Jean-Michel Wissmer
(1). L’auteur de ces lignes ne cache pas une grande fascination pour ces poupées, comme le prouve son dernier roman, “La Poupée Katchina – Une Genevoise en Amérique (1949-1950)”, Editions Slatkine, Genève, 2008. Voir DIVA, Issue 2, 2008, nº 33, p.40.
Credit photos : Nordamerika Native Museum, Z ?rich