MUTATION ii – SUR LA ROUTE DU CINÉMA, Par Dan Albertini
- Un scénario qui met en vedette Monsieur Dubuisson dans le rôle de tikoyo et, la colline de Bizoton, qui est le lieu du tournage
Quand l’artiste trempa le poil de son pinceau dans le vert de sa palette, la courbe du biceps tracé sur la toile en sortit ocre. Puis, produit des vrilles rouges sur fond jaune altéré. Une autre couleur qui n’est de sa palette ni d’un chromatisme connu. Une maison plus loin. Un bruit, deux hommes referment le parchemin enlacé. Invocateur avisé, surpris, Fénelon lâche à son vieil ami : « Ici débute l’histoire d’un phénomène qui fait appel à la métaphysique ancienne ». Acteur perdu, Mauril fonce le sourcil. Un autre homme ailleurs : « mon Dieu », il est…. Le narrateur commence : « Un homme sur trois qui passent y reste pour ne jamais en revenir. L’amateur de liqueur forte tarde malgré tout, ce dernier verre de Sellé-bridé du Cap. L’histoire se renouvelle chaque lendemain de Calvaire miracle ». Il fait parler Fénelon qui étale les faits pour la cinquantième année consécutive en consultant le vieux parchemin. Mauril propose une nuance cette année, « les deux jumelles souffraient d’une perte de sang depuis le jour de leur puberté, il fallait leur trouver une potion exogène en la faisant passer pour celle de la croyance endogène. La maison a d’ailleurs perdu l’une d’elle, sans avis médical ». Un autre personnage rentre en scène. L’oncle Paul prend congé de chez Lambert.
J’aime répéter : la littérature qui suit irritera probablement le disciple du cinéaste haïtien Roland Paret. Même si elle n’en est une de gallinacée, lui s’en permet une psychotique, « Roland la panique ». Oh critique exogène dans un village de sobriquets ! Ce régionalisme-ci veut que chaque personnage soit d’un autre, en finalité d’une femme. Rénal Timée est de madan timée, comme timée lui-même (Altimée) est de madan timée bouchère de bœuf. Costaud de nature, Rénal fréquente la vie nocturne de chez lepè. C’est lui qui découvrira Frisnè face à terre, renversé par un violent choc en apparence. On crut d’abord à une faiblesse du passé. Mais, une ombre humide, flottait comme une espèce en mutation. Ni humaine ni végétale, ni immatérielle. Elle est livide, tantôt fluide, sans dimension, omniprésente. La table est mise pour un évènement hors de l’ordinaire estime Fénelon.
Lambert est mèt lambè miss car sa sœur aînée est miss Célestin. Et, l’oncle Paul est tipaul madan Milò, de sa mère. Il est aussi tipaul de son sobriquet à cause de sa taille. Il est devenu aveugle peu après son retour d’études pédagogiques au Mexique, d’où mèt Paul. L’oncle Edmond, son demi-frère paya de sa vue, la même maladie. Mais l’on jugea la cécité héritée de mèt Paul, conséquente à une gifle infligée au parent d’un élève à l’école de Don Dumerlin. Névrosé depuis lors, si tipaul n’aimait pas entendre un son c’est celui de « misié tipaul », de la domesticité nouvelle ou, de « tipaul aveugle », des voisins imprudents. Même s’il raconte souvent à son neveu qu’il voit avec ses oreilles, tant il percevait l’image venant du son, de loin, car il développa l’ouïe pour compenser. Il raconte donc à son neveu tibout, ce qu’il soutient avoir vu comme une seconde ombre simulant une proie de chasse de Lambert. Le récit ne s’attarde sur tipaul dans un cartier où plus d’un lui couvaient le sobriquet de tipaul aveugle. Il dévoile malgré tout la touche particulière de son meilleur ami mèt lambè. Ils se partageaient la clientèle domestique féminine en hauteur, dans cette littérature de gallinacée : « ti poulèt ». La jeune poule, pour dévier les espiègles et la compétition. Leur chasse s’étalait à hauteur de Marceline à Thor le volant. Ce partage non sans heurt cachaient une avenue silencieuse aussi : Lambert était voisin immédiat à Lepère, donc témoin de sa fenêtre fermée, des ombres ésotériques venant ou sortant du grand manguier. On y trouve aussi dans ce contexte : tipaul baccalauréat, frère de Roude, pour son record d’insuccès aux examens du bac même s’il enseignait lui-même à ceux qui réussissaient. Roude ami de mèt Paul, était chimiste de formation, mais mangeait de l’argile pour ne crever de faim. Puis, venaient tipaul sous rails pour son domicile en dessous du niveau des rails, tipaul atis pour son statut d’artiste peintre, etc. Il y a aussi tipiè madan piè de madan piè kabrit. Elle était bouchère de cabrit. Enfin, tous, adaptés à la réalité de leur situation. Tout ce monde rural est pris dans l’histoire d’un phénomène qui se déroule chez lepè. Elle inquiète Mauril au plus haut point car il est le frère et conseiller mystique du préfet de la ville capitale. La stupéfaction alla jusqu’à Jean-René.
Jean-René traverse régulièrement Bizoton au quotidien pour se rendre à Port-au-Prince. Il est de cette faune d’artistes initiés que l’on ne comprend que plus tard. Il décide de peindre la beauté autrement. Ce n’est du rouge mais Alexis le décrit malgré tout entre Caravage et Jacob Rembrandt. Son esthétique est cruelle, il en meurt d’ailleurs après l’esquisse d’une forme inachevée. Raison pour laquelle Mauril au courant, convoqua Fénelon en cinquantième séance autour du parchemin. C’est l’époque où le règne du dictateur s’effondre par défaut de cohérence, Mauril soutenant son frère préfet, doutait de Jean-René. Car, le bas de Beauvoir, voisin surélevé du pasteur américain, Hartt n’existait plus. Cet homme et sa femme blanche s’installèrent définitivement sur une île vers le Sud. On lui attribua la responsabilité de moult phénomènes de disparition dans la zone associée à la Route Tunnel. Gerson qui menait des recherches anthropologiques dans la grotte à l’entrée de la route, témoigne à Pierre frère de Paul, qu’un nouveau genre s’installait. L’image est-elle donc réelle et imaginaire ?
Voici l’histoire de Mutation 2. Artiste-peintre, la main de Frisnè se fige d’un mouvement off. Laisse la place à une profonde transformation de ce qu’il étalait. Toute description s’avoue inappropriée. Il est trente-neuf heures car il n’a laissé la toile depuis la veille. Cito est To. Il a la mâchoire large, les dents sciées en avant, les canines plus longues. Un problème de naissance lui donne l’air abruti. Il est le frère d’Ulisse madan ulis, père de Nicole madan ulis revenue au pays pour consultation. Allongé sur une large planche fendue du haut de la véranda qui servait de grenier, l’œil perçant, to domine toute la maison sans plafond. Les mûrs inachevés sont hébergés sous un pavillon de tôles perforées soutenu par des poteaux, protégé par un grand manguier siamois. To regarde la scène qui se déroule au coin obscur de Frisnè et bouge. Une lucarne née d’un trou dans la planche dévoile l’ombre vacillante de to sur la toile. Perdu dans ses pensées, il estime que le bras droit prend la forme d’une trompe de phallus inversée d’un cheval, sourit et bourdonne. Sa voix nasillarde apporte une dimension d’un autre standard de la culture haïtienne. Celle de la métamorphose décrite dans Le Serpent et l’arc-en-ciel de Wade Davis. La scène se déroule côté bassin versant de Bergamotte, trois niveaux plus élevés que les rives du courant d’eau venant de Dix-bassins. Mais, la spécialité du pays est décrite dans Monsieur Humbert, les ombres circulent plus vite que les ondes.
Tipaul affirme avoir la forme du mutant, de chez Lambert. Qui pouvait raisonnablement lui accorder ce crédit quand il doutait des tactiques de son ami, ce jour-là ? La prédiction était pourtant claire, dixit Fénelon. Tikoyo affirme de son côté, une mystique excessive dans Bizoton, déjà connue pour sa réputation depuis l’affaire Clercine, au coeur de la République. Koyo propose une hybridation de plusieurs avatars incompatibles au Dahomey. La zone est dévastée par un phénomène bizarre que personne n’arrive à expliquer jusqu’à date. Le film finit pourtant par une sensation d’un toucher humide, du spectateur. Lepère se lève tôt ce jour-là, prend son café sous le tronc du grand manguier. L’air inquiet, son visage se transforme…
Mutation sera-t-il un film d’horreur, de fiction ou une étude psychique de l’homme assis sous le grand manguier, la réponse vous appartient.
Merci d’y croire !
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