Abdoulaye Diop le tout nouveau ministre des Affaires étrangères malien, était à l’ONU. Il s’est exprimé devant le Conseil de sécurité.

Q : Quelle est la situation sur le terrain. Les forces de l’ONU et la force Serval font-elles leur travail ? Quel est votre sentiment ?
R : La situation est complexe. Aujourd’hui, seule la moitié du dispositif est en place. Les forces onusiennes sont déployées à 50-60%. Elles devraient comporter 12,000 hommes. L’ONU fait face à d’énormes défis car elle n’a pas la logistique nécessaire, en termes de transport, communication et surveillance aérienne. Nous avons reçu il y a quelques jours, 5 hélicoptères d’attaque, donnés par les Pays-Bas, ce qui permettra de donner de la puissance aux forces en place. Le point de loin le plus important, porte sur un déploiement plus robuste de la force, dans les zones à risque, essentiellement les zones du Nord du pays.
Q : On a reproché à la force Serval d’avoir chassé les groupes terroristes hors de certaines zones, mais de ne pas s’être préoccupée de leur devenir. Ce qui pourrait constituer un danger pour le Mali.
R : Je pense qu’il est facile de critiquer. Beaucoup d’opérations d’envergures ont été menées par la force Serval, conjointement avec les forces armées maliennes et onusiennes. Dans un certain nombre de zones, des groupes terroristes ont été traqués. Certains ont été éliminés et d’importants stocks d’armes ont pu être récupérés. N’’oubliez pas qu’on parle d’une zone qui fait probablement cinq fois la France, quant au Nord du Mali, il fait trois fois la taille de la France. Les défis logistiques sont énormes. C’est pourquoi il est important que Serval poursuive son travail. Il est important que les forces de l’ONU soient en nombre suffisant pour se concentrer sur les zones qui posent problèmes. Principalement les 3 régions du nord. Il faut s’occuper de la sécurité parallèlement au processus politique. Il me semble cependant important que l’armée malienne puisse recevoir l’appui logistique et technique nécessaire pour faire son travail. C’est notre armée, c’est notre pays que nous voulons défendre.
Q : Etes-vous d’accord avec les africains qui disent que si l’Afrique avait les moyens logistiques pour se défendre, elle ne ferait pas appel aux forces étrangères. C’est ce que m’a dit le président Ouattara lorsque je l’ai interviewé.
R : Je suis d’accord avec le président Ouattara sur le principe que pour chaque pays, -que ce soit en Europe ou aux Etats- Unis, – la sécurité d’un pays doit reposer sur le pays, ou à défaut sur la région. Je pense que c’est aux maliens et aux africains d’assurer leur propre sécurité. En sommes nous-là ? Non. Au Mali, nous aurions voulu faire le travail nous-mêmes ou à défaut, nous aurions voulu que les forces de la CEDEAO ou la force africaine puissent le faire. Elles n’avaient pas les moyens logistiques nécessaires pour déployer leurs troupes au- delà de leurs frontières. Je sais qu’il y a des démarches en cours avec la CEDEAO et l’Union Africaine pour avoir des forces pré-positionnées et pour renforcer la capacité des forces africaines en logistique et en communication. Mais, et vous le comprendrez, cela nécessite une formation, des ressources financières et humaines qui ne sont pas tout à fait prêtes aujourd’hui. Le Mali ne pouvait pas attendre. Nous saluons l’intervention française et nous reconnaissons son impact sur le pays. Sans cette intervention, nous ne parlerions pas du Mali, en tout cas, pas dans le schéma que nous avons actuellement. Je pense qu’il nous faut être réaliste. Compte tenu de l’imminence de la menace qui pesait sur le Mali et sur Bamako, nous sommes reconnaissants de cette intervention française. En même temps, nous pensons que, dans le long terme, il faut que l’armée malienne soit structurée afin de protéger et défendre le pays. Elle doit être capable de faire face aux menaces et dans le futur, pouvoir travailler avec les forces africaines. L’Afrique doit assurer sa sécurité. C’est l’objectif ultime que nous recherchons. Naturellement, des partenaires comme les Etats-Unis, la France, l’Union Européenne, le Japon ou d’autres, ont leur place en termes de soutien. Je pense que la vision de la défense du continent doit être africaine. Les autres partenaires peuvent venir partager leur expérience et nous soutenir. Ils ne doivent pas faire le travail à la place des Africains. Entre temps et en attendant que nous soyons prêts, nous faisons avec ce qui existe.
Q : L’Afrique est un continent riche. Ne pensez-vous que l’Afrique aurait eu les moyens de créer cette force africaine depuis longtemps ?
R : C’est une question difficile. Si cette force n’est pas disponible actuellement, sur le papier, des projets ont été élaborés. Vous savez, beaucoup de pays africains font face à des défis existentiels –sécurité alimentaire des populations, éducation, promotion du développement économique. Les moyens qui sont en jeu pour aider à assurer la défense dans d’autres pays africains, a un coût exorbitant pour les pays africains qui font déjà beaucoup de sacrifices. Prenons le cas des troupes tchadiennes ou nigérianes et les sacrifices que ces pays font pour pouvoir intervenir sur des théâtres d’opérations tels que le Mali, c’est à saluer. Ce n’est pas assez, je le sais. Ce qui s’est passé au Mali devrait être une sorte d’alarme pour tout le monde, y compris pour les maliens, afin que nous puissions aller beaucoup plus rapidement que les plans initiaux qui avaient été dessinés. L’urgence est là, et la menace est réelle. Si nous essayons de mutualiser nos forces, (je suis certain que nous ne ferons pas faire exactement ce que font les grandes puissances,) l’Afrique sera en mesure de pouvoir assurer progressivement la sécurité des populations africaines.
 
Propos recueillis par Célhia de Lavarène
New York 2 juin 2014