L’Inde est à la mode. La plus grande démocratie du monde est un pays en pleine effervescence économique et se veut une vitrine de l’informatique, des nouvelles technologies et du progrès médical. Bombay a pris des allures de Miami orientale et les productions de Bollywood, qui ont su adapter la musique et la danse traditionnelles à toutes les tendances du moment, s’exportent partout de Genève à New York.
Mais l’Inde millénaire est bien présente et a conservé tous ses charmes et toutes ses traditions : les temples ne désemplissent pas, un troisième oeil de couleur orne toujours les fronts, les vaches sacrées déambulent encore au milieu de la circulation, les singes vous épient de partout et les femmes arborent les mêmes magnifiques saris colorés (bien peu l’ont troqué contre jeans et tee-shirt).
Il y en a pour tous les goûts et partout vous accompagnent des odeurs de santal, de curry et le son des voix nasillardes des chansons populaires. Si les immenses tours sculptées des sanctuaires hindouistes – les « gopurams » – côtoient les minarets des mosquées et les clochers des églises, on trouve aussi en Inde d’autres cultes rares et fascinants : le jaïnisme qui proscrit toute atteinte à la vie (à l’ouverture des temples le matin les prêtres portent un masque pour éviter d’avaler les insectes); la religion des Sikhs qui a opéré une fusion entre l’islam et l’hindouisme; le rite syriaque qui remonte aux origines du christianisme; les traditions des Parsis, adorateurs du feu, qui placent leurs morts sur des “tours du silence” pour les abandonner aux vautours; le très ésotérique bouddhisme tantrique, et j’en oublie.
Pour les touristes, ce musée vivant est un paradis, et des sommets de l’Himalaya, où la culture tibétaine s’est réfugiée dans les monastères, jusqu’aux plages du sud, l’offre est illimitée : trekkings, chasse – photographique – aux tigres, circuits archéologiques, cures d’ayurveda, séjours spirituels dans les ashrams, impossible de ne pas y trouver son compte et son bonheur. Palais des maharadjahs et anciennes demeures coloniales anglaises ont été reconvertis en hôtels de charme, et l’on se prend l’espace d’un jour ou deux pour un prince des mille et une nuits. Les destinations les plus courues sont certainement le Rajasthan au nord et le Kerala au sud qui représentent effectivement deux visions très contrastées et complémentaires du pays.
Je vous propose de découvrir un autre État situé au nord du Kerala : Le Karnataka. C’est un résumé fascinant de l’Inde: en dehors évidemment des trekkings himalayens, vous y trouverez à peu près tout ce que je viens d’énumérer et qui fait la richesse et la diversité de ce pays. Bengalore, capitale de l’informatique; Mysore et ses marchés colorés; la réserve de Kabini habitée par les éléphants sauvages, les antilopes, des centaines d’oiseaux et des tigres; Belur, Halebid, Badami, Aihole, Pattadakal et leurs temples somptueux; Shravanabelaloga, immense centre jaïn avec sa grande statue monolithe haute de 17 mètres; impossible de tout décrire. Je ne parlerai que d’un seul lieu qui réunit presque toutes les beautés des autres : Hampi.
Imaginez des rizières et des cocoteraies entourant un paysage lunaire d’énormes blocs erratiques aux formes les plus étranges et qui semblent être tombés du ciel en tenant miraculeusement en équilibre. Au milieu de ce paysage court une rivière qui forme de petites cascades entre les rochers et les arbres où, le soir venu, viennent se donner rendez-vous des myriades d’oiseaux blancs.
D’un côté de paisibles villages, des vaches qui se promènent, des singes qui sautent d’arbre en arbre, c’est l’Inde de toujours; non loin, de petites auberges, des bars, des pensions et des café internet pour les routards et les hippies rastas (surtout israéliens !), c’est l’Inde « new age »; en face, l’ancienne capitale de la dynastie des Vijayanagar qui s’étend sur 26 km2. Cette ville fondée en 1336 et enrichie grâce au commerce des épices et du coton, fut pillée et saccagée au XVIe siècle par les sultans des royaumes du Deccan qui ne laissèrent que ruines. Mais quelles ruines! Une centaine de temples, des statues colossales, des marchés couverts, des réservoirs, des bains princiers, cette Pompéi indienne est un immense musée en plein air qui promet de grandes émotions à tout amateur de beautés architecturales. Peu de sites en Asie, en dehors peut-être d’Angkor au Cambodge ou de Pagan au Myanmar, offrent un telle profusion de monuments. L’un des plus beaux temples est celui de Vitthala avec son petit sanctuaire en forme de char à quatre roues et son hall aux “colonnes musicales” reproduisant chacune un son différent.
En contrebas coule la rivière Tungabhadra, et l’on aperçoit au loin la montagne pelée couronnée par le sanctuaire du dieu singe Hanuman : la tradition veut que soit né ici le singe sacré allié du prince Rama et qui l’aida à retrouver son épouse Sita capturée par le démon Ravana (c’est un épisode central de la célèbre épopée du Ramayana).
Les inconditionnels de Ganesh, le dieu à tête d’éléphant, seront comblés : il y a deux immenses statues du dieu le plus populaire et peut-être le plus sympathique de l’Inde. Si on l’observe bien on verra que l’une de ses défenses est plus courte que l’autre : le dieu éléphant se la serait arrachée lui-même pour s’en servir comme d’une plume et écrire l’autre grande épopée indienne, le Mahabharata. Voilà pourquoi Ganesh n’est pas seulement le dieu de la sagesse et celui qui écarte les obstacles, il est aussi le dieu des écrivains!
Une journée de voiture et vous changez d’État et d’ambiance : vous êtes à Goa.
Pour les nostalgiques de la course aux épices, des caravelles et des vieux comptoirs, des maisons coloniales blotties sous les bougainvillées et des églises blanches, il y a en Inde trois étapes incontournables et trois noms magiques: Pondichéry la française, Cochin la hollandaise et Goa la portugaise.
Si vous décidez de passer vos vacances à Goa, sorte de Bali indien, il faudra choisir “votre” Goa, et surtout “votre” plage. Celles du sud sont les plus belles et les plus préservées; là se sont installés les grands hôtels de luxe. Celles du nord sont plus populaires et plus animées, rendez-vous des familles indiennes et des touristes britanniques en mal de soleil. Certaines sont connues pour leur soirées techno et leurs “full moon parties”. On ne manquera pas non plus le fameux marché d’Anjuna le mercredi et le samedi soir où des marchands indiens, tibétains, gitans et hippies proposent tout ce qui se produit en Inde, des tissus aux épices en passant par l’encens et les statues de bronze.
Plus à l’intérieur se sont réfugiés quelques maisons d’hôtes et des hôtels de charme ainsi qu’une très importante communauté européenne (surtout anglaise et française) qui semble y couler des jours heureux en s’invitant à des brunches et des « tea parties » au bord de leur piscine à l’ombre de jardins tropicaux. Rien n’est trop beau au Paradis. Reste le Goa historique, celui que j’ai préféré. Velha Goa est une pure merveille qui n’a rien à envier aux splendeurs de Lisbonne ou du Brésil colonial. Fondée en 1510, celle qui fut une rivale de Venise offre un ensemble exceptionnel d’une quinzaine d’églises construites entre le XVIe et le XVIIIe siècles d’une hauteur de voûte stupéfiante et qui conservent des trésors d’art baroque.
La basilique du Bom Jesus abrite le tombeau de saint François Xavier (1506-1552), le grand missionnaire jésuite espagnol surnommé l’Apôtre des Indes et qui conduisit des voyages apostoliques dans toute l’Asie jusqu’en Chine et au Japon. Mort sur une une île déserte au large des côtes chinoises, son corps fut ramené à Goa pour être conservé dans la vénérable basilique.
En 1760, les Portugais, fuyant les épidémies de cette première capitale, édifièrent non loin de là une nouvelle ville baptisée logiquement Nova Goa, la “Nouvelle Goa”, et qui s’appelle aujourd’hui Panaji ou Panjim. En se promenant dans les venelles aux maisons bleues et jaunes, en découvrant ici et là une chapelle baroque, un café aux tables de bois avec une jolie terrasse, en croisant les sourires d’une population métissée, on pourra se croire dans les vieux quartiers de Rio ou de Salvador de Bahia.
Une grande affiche d’un kitch coloré annonçant la dernière production de Bollywood suffirait alors à vous rappeler que vous êtes bien en Inde, « Incredible India », comme le proclame la publicité.
Jean-Michel Wissmer