ARTS par Dan Albertini: La femme dans le mental de l’art haïtie

Marie était vierge et elle a eu Jésus, mais l’image de l’immaculé est malgré tout restée dans la pensée chrétienne. Non pas que les artistes haïtiens soient nécessairement non croyants, mais, même aplat, l’artiste haïtien accorde à Marie une forme dans la sensualité. Comment Freud aurait-il compris le mental haïtien : entre sexualité et spiritualité, en regardant les deux autres tableaux ?
Trois artistes haïtiens nous dressent un portrait de la femme dans trois contextes différents. Faisons l’exercice dans le désordre, question d’identifier les personnages. Oublions la description de droite. Une mère vierge, emprisonnée par la religion, privée du droit à la sexualité. Une femme nue emprisonnée par un piège de belette, soumise sans possibilité de résistance. Une fille dénudée, emprisonnée dans la couleur, nous imposant la crudité de la sensualité. Les trois proviennent de classes sociales probablement différentes, il y en a d’autres mais le symbolisme est tellement éloquent et séparé, sauf deux éléments.
Jean-René Jérôme Il n’y a pas de doute, Jean-René Jérôme avait une puissante vision de l’esthétisme dans le domaine de la sensualité. Coubes et couleurs sont appelées en grand renfort mais, finies pas une main qui connaissait les arts plastiques. Il cherchait ses sujets certes, mais il arrivait à extérioriser sa flamme d’artiste dans toute son arrogance d’homme instruit.
Il présente une jeune fille noire dont on imagine la puissante hanche que surplombent deux seins fabuleux. Il nous offre la femme dans sa version la plus déchirante, un plastique qui renforce l’anatomie. Nous ne pouvons nous permettre de la réduire au misérabilisme en effet. Jean-René Jérôme ose, sans barrière. Il ne dénonce pas l’intimité, mais affirme la féminité. Son art ici suggère de ne pas freiner vos désirs sur un fétichisme. Les lèvres voluptueuses brûlent de désir !
Lorméus Aderson Cet artiste est resté enfermé dans un art original lointain qui était plutôt historique, donc des règles à priori. Cependant, comment imaginer un artiste allant chercher la sensualité chez Marie, en présence du symbole de la fertilité, l’enfant sur ses jambes. Il offre à Marie tout un univers de victuailles au niveau des fesses pour démontrer la même puissante hanche. Même quand Lorméus Aderson ne serait pas chrétien ! Ben oui, l’illustration de la sexualité se retrouve dans l’élément de la fertilité par la présence de l’enfant Jésus. On ne peut se tromper, il joue avec les iconolâtres pour bien situer le niveau de sa recherche esthétique. Cet artiste ramène à son tour la vierge chez les Noirs, elle est une fausse blanche, quand sa source byzantine lui révèlerait une Marie blanche.
Jérôme Bromfay Cet artiste était probablement prisonnier de son ignorance, mieux, de son manque de formation académique. Il a dû faire dans un naïf proche des primitifs malgré un désir d’utiliser une perspective sans point de fuite. Son léger relief s’est fait par superposition des couches de peinture en images et non sur une définition des couches en plan hiérarchique. Les détails du fond bleu et du sol le démontrent sans procès. La clémence lui est due pour la présentation de la femme nue qu’il imagine. Sa bonne volonté est tout de même acquise, même si nous aimons croire qu’il est touché par l’inspiration de douanier Rousseau. Il n’aura pas réussi à faire de la femme, malgré les fesses rondelettes qu’il prévoyait, une démonstration érotique qui provoque des fantasmes chez l’amateur.
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On pourrait lui reprocher soit du sadisme pour ses goûts, soit du masochisme pour ses états, par le fait d’imposer à la femme un état de soumission par la violence. Constatons qu’elle est obligée par douleur, d’offrir ses seins, et pour toute aise, une branche sèche comme support. Si son art dénonce le garde forestier qu’on pourrait associer à l’identification d’un responsable ancestral, cela ne regarde pas Freud. C’est peut-être de l’art, cependant si son art dévoile un caractère jouissif personnel quand la douleur chez la femme lui enlèvera tout désir érotique, il y aurait lieu de s’inquiéter d’une telle école. Inspiration ou projection.
Si l’on doit jouer à l’observateur averti, il nous est permis de remarquer que la tête de la femme n’est pas nue chez ces artistes, même que Marie a cette auréole de lumière qui la caractérise dans l’immatériel. Lorméus Aderson a-t-il voulu bousculer, en forçant une rondeur chez Marie, dans un aplat aux carreaux sans perspective, même s’il lui impose des seins pieux visibles que par la courbe sur un seul côté du manteau bleu. La ligne droite de la robe en haut des seins trahit son erreur. On reconnaît l’éloquence de Jean-René Jérôme quand il soigne la fleur du mouchoir, dans une violence chromatique pour bien situer l’esprit des vêtements en lambeau qui dévoilent une grâce féminine tellement exquise et des côtes surélevées. Mais on reprochera à l’esprit Bromfay d’enlever toute sa dignité à la femme quand il tombe dans le piège du détail. Où sont les vêtements éparpillés de la femme livrée à la douleur, tandis qu’il accorde malgré tout à l’homme cet espace de pudeur.