Interview de Jean-Michel Wissmer à l’occasion de la sortie de son livre ", ! Un journal mexicain".

JMW_0036-bc10eJean-Michel Wissmer, « Emmenez-moi à l’Ange ! » est votre troisième livre sur le Mexique, c’est donc une véritable histoire d’amour avec ce pays !
En effet, j’y suis allé il y a près de trente ans comme touriste pour la première fois et je n’ai jamais cessé d’y retourner depuis. Je me suis même spécialisé en littérature mexicaine coloniale, ce qui m’a permis de participer à la vie universitaire et de donner souvent des conférences à Mexico et ailleurs.
« Emmenez-moi à l’Ange ! » est donc un peu votre histoire ?
Oui, si vous voulez, mais j’ai essayé de regrouper plusieurs années d’expériences et de voyages mexicains en quelques mois, et de décrire non seulement tout ce que j’avais vu et vécu mais également ce que l’on m’avait raconté et ce que j’avais lu. Le Mexique est un pays surréaliste : il n’est même pas nécessaire d’inventer une fiction, il suffit d’ouvrir les yeux pour contempler l’extraordinaire au quotidien.
Pourquoi alors ne pas avoir raconté vos aventures à la première personne, comme un véritable journal autobiographique ?
J’avais besoin de la distance du “il” qui donne beaucoup plus de liberté et puis, comme je viens de le dire, j’ai regroupé et parfois transformé beaucoup d’éléments. Certains acteurs de ce roman de voyage sont d’ailleurs fictifs et ceux qui ne le sont pas ont été souvent remodelés par mon imagination.
Il y a un “personnage” qui, lui, n’est pas du tout fictif et qui occupe une place centrale dans votre livre, c’est la poétesse baroque Sor Juana Inés de la Cruz dont le portrait orne d’ailleurs la couverture du livre.
Effectivement, ce livre comme les deux autres, n’existerait pas sans elle, et je pourrais même dire que mon Mexique n’existerait pas non plus sans Sor Juana. C’est à cette exceptionnelle poétesse du XVIIe siècle que j’avais consacré ma thèse de doctorat, et c’est elle qui m’invite chaque fois à faire le voyage. Cette religieuse, considérée comme la première féministe d’Amérique et qui a fait scandale à son époque en raison de ses prises de position, est la plus belle plume de l’époque coloniale hispano-américaine. Au Mexique elle est devenue une véritable icône célébrée aussi bien par les intellectuels de tous bords (féministes, anticléricaux et conservateurs) que par les enfants qui apprennent par coeur ses poésies à l’école.
En réalité, votre livre en contient trois : celui d’un certain Jean-Baptiste Würtzmann, spécialiste de Sor Juana (on dit “sorjuaniste”, n’est-ce pas ?) qui vit son expérience mexicaine guidé par cette religieuse ; un journal culturel qui est comme un guide des beautés souvent méconnues de ce pays ; et enfin un roman familial qui constitue certainement l’aspect le plus intime du livre.
Vous avez raison. Il y a longtemps que je voulais raconter l’histoire de ma famille (ou en tout cas une partie de cette histoire) qui est à la fois complexe et douloureuse. Mais comme je crois être assez pudique, j’avais besoin de l’intégrer à une aventure plus large (et aussi plus exotique). J’ai recréé mes parents mais les sentiments que je décris sont authentiques. A travers les yeux de Jean-Baptiste, on découvre donc non seulement le Mexique et Sor Juana mais également une expérience humaine.
Pouvez-vous nous expliquer le titre à la fois mystérieux et poétique du livre ?
L’Ange est une statue, une victoire ailée, qui se trouve sur la colonne du Monument à l’Indépendance. C’est un lieu stratégique au coeur du quartier des affaires, des grands hôtels et de la vie nocturne de Mexico. C’est aussi un lieu de rassemblement. Tous les Mexicains appellent ce monument El Angel, l’Ange. Quand vous montez dans un bus ou un taxi, vous dites simplement “Emmenez-moi à l’Ange !” et vous êtes immédiatement compris. Pour Jean-Baptiste, mon personnage, c’est aussi un lieu réconfortant car il habite tout près.
Pensez-vous poursuivre cette aventure mexicaine ?
Je pense que, d’une certaine façon, ce livre est un peu une manière de la clore même si je sais que je vais y retourner pour revoir mes amis et surtout peut-être pour ne pas perdre mon lien si précieux avec Sor Juana.
Vous avez donc d’autres projets personnels et littéraires ?
Oui, heureusement. Je suis en train d’écrire un livre sur un voyage de ma mère aux États-Unis dans les années 50 (j’ai retrouvé toute sa correspondance) et c’est une magnifique odyssée entre New York et les pueblos indiens. Je fais aussi des recherches sur une étonnante poétesse neuchâteloise, Alice de Chambrier, qui est morte à 21 ans en laissant une oeuvre remarquable. Je l’ai proposée au Mexique pour représenter la Suisse dans le cadre d’un projet baptisé “Âmes jumelles de Sor Juana”. Chaque pays choisit une poétesse que l’on vient présenter au Mexique tandis que l’on fait mieux connaître Sor Juana dans le monde1. Comme vous le voyez, finalement, je suis loin d’avoir abandonné Sor Juana et le Mexique !
Jean-Michel Wissmer. Emmenez-moi ? l’Ange ! – Un journal mexicain,  ?ditions Bartillat, Paris, 2006.