Le Salon africain du livre …UN ESPACE DE DÉCONSTRUCTION DES MYTHES

Isabelle Bourgueil, vous êtes Directrice de la Programmation des débats au Salon africain du livre de Genève depuis six ans. Pourriez-vous me dire si ce Salon africain est une initiative originale, ou bien s’il s’agit d’un événement que l’on retrouve dans les autres Salons du livre que vous avez visités.
Isabelle BourgueilIsabelle Bourgueil. Le Salon africain du livre de Genève est une initiative originale et unique. Il n’est pas un  » Stand Afrique  » dans un Salon du livre ou dans un Salon international du livre. Il est un Espace qui accueille un continent invité en permanence depuis six années. Cet événement n’a donc rien à voir avec un stand qui se retrouve sur un autre stand monté par un Ministère des Affaires étrangères quel que soit le pays.
Avec le Salon africain du livre, nous avons affaire à un événement indépendant, même s’il est financé par des bâilleurs de fonds qui ne sont pas anodins – le Département de la coopération et du développement (DDC) de la Suisse, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Nous jouissons ici d’une certaine marge de liberté dans la gestion de nos activités. Nous ne portons pas l’étiquette du  » Ministère des Affaires étrangères suisse « , car nous sommes un continent invité. Et c’est ça l’originalité de ce Salon dans toute l’Europe. Notre formule n’existe dans aucun autre Salon du livre en Europe.
Votre Salon comporte quatre espaces. Comment auto-évaluez-vous l’espace débats dont vous êtes chargé de la programmation.
Isabelle Bourgueil C’est un espace de déconstruction des idées reçues, des mythes et des préjugés sur l’Afrique. J’ai toujours refusé une folklorisation, un appauvrissement ou un rétrécissement des questions relatives à ce continent. Très souvent, le questionnement se situe au niveau du charitable, de l’humanitaire, de la sympathie, etc. Je m’efforce à ce que cet espace prenne de la hauteur et une certaine distance par rapport à ce qui se fait d’habitude.
J’ai noté une grande satisfaction aussi bien chez les invités qui animent les débats, que chez les écrivains qui participent aux débats, et au sein de l’auditoire qui interagit avec les animateurs et les intervenants. A quoi cela est-il dû ? Serait-ce la liberté d’expression que vous-même pratiquez dans cet espace ?
Isabelle Bourgueil. J’essaye d’être le plus libre possible. Si je ne le suis pas, je le reconnais, et je m’efforce de me libérer de tout ce que j’ai subi comme pressions idéologiques. Ma pratique et mon expérience de la liberté d’expression en groupe ont toujours facilité le respect des opinions exprimées pendant les discussions, développé la compréhension mutuelle et permis un examen approfondi des sujets soumis à la réflexion. En fait, la question que je mets au centre des débats est celle de se débarrasser des idées erronées qui polluent la résolution de certains problèmes. Que ce soient ceux de l’Afrique, de l’amour, du climat, etc. Tout est prétexte à se questionner aujourd’hui. Nous sommes envahis, entourés par un monde qui ne participe pas de cette liberté d’esprit, de ce libre esprit. C’est pourquoi j’invite mes complices, mes amis à continuer d’élargir ce cercle de libre esprit concernant toutes les questions africaines.
C’est devenu une tradition d’organiser dans l’après-midi du dernier jour du Salon, un atelier spécial pour examiner cette question que vous avez intitulée cette année  » Editer l’Afrique dans le monde « . Est-ce que vous pourriez nous dire où vous en êtes avec cette question ?
Isabelle Bourgueil. Editer l’Afrique dans le monde, pourquoi ce sujet ? Parce qu’en fait, il y a des éditeurs qui éditent l’Afrique quel que soit le pays de résidence de l’auteur. Ce sont les maisons d’édition africaines, ce sont les maisons d’édition brésiliennes, ce sont les maisons d’édition portugaises, ce sont les maisons d’éditions française. Si on n’avait pas le continent africain, peut-être qu’on aurait dix fois moins de livres dans le monde. En tant que sujet d’écriture, l’Afrique occupe et enrichit beaucoup de monde. Elle aide des auteurs à vivre, des éditeurs à vivre, des traducteurs à vivre.
Mais les écrivains, les éditeurs et les traducteurs africains sont une minorité parmi ces heureux bénéficiaires.
Depuis très récemment, une organisation internationale qui s’appelle l’Alliance des éditeurs indépendants a permis d’établir des relations entre tous les petits et moyens éditeurs d’Afrique et d’Europe qui éditent l’Afrique.
Il y a deux belles collections qui aujourd’hui, permettent qu’on se réunisse et qu’on édite ensemble, ou qu’on réédite ensemble des textes majeurs. Ce sont Terres d’écriture et Terres solidaires. Terres solidaires est une collection plus symbolique pour moi, plus importante car elle fait redescendre des textes d’auteurs d’Afrique qui ont été comme volés à leur continent. Volés comme on vole une statue. C’est ainsi qu’on a volé aussi l’esprit de ce continent. Nous avons donc envie d’ouvrir cet espace aux auteurs africains afin qu’ils restituent son esprit à ce continent. Editer l’Afrique dans le monde, ce n’est pas  » une pensée noire « , c’est comme si Nietsche n’était pas édité en Allemand en Allemagne. Qu’est-ce que ça veut dire qu’un auteur important de ce continent africain n’est pas édité par des éditeurs de ce continent et encore moins diffusé ? A quoi ça ressemble cette histoire là ? Nous faisons en sorte de repérer toutes ces éditions mondiales et de voir comment on peut restituer tout ce patrimoine immatériel qui a tout simplement été volé à ce continent sous prétexte de droits d’auteur, de signature de contrat économique et d’histoire coloniale.
Est-ce que l’Alliance a pris des initiatives qui viseraient à libérer les auteurs africains pris en otage par certaines grandes maisons d’édition, à les libérer de leurs contrats ?.
Isabelle Bourgueil. Oui. Nous avons mis en place un système d’information par l’Alliance des éditeurs indépendants. Nous disons aux auteurs, pas seulement africains, qu’ils peuvent par exemple signer des contrats avec des grandes maisons d’édition, mais en mettant une clause de réserve sur tous les pays d’Afrique. Ce qui permettrait ainsi aux maisons d’édition africaines ensemble, de pouvoir acquérir les droits au bon vouloir des auteurs, et d’éditer leurs textes avec tel ou tel autre éditeur africain. C’est une information, une éducation par ce qu’on s’aperçoit que les auteurs de ces pays comme d’ailleurs les auteurs du monde entier signent les contrats sans faire attention. Que les auteurs africains et les autres arrêtent de vendre leurs droits pour le monde entier à un éditeur qui est parfois une multinationale qui va assommer leurs pays par ailleurs.
Dans les pays anglo-saxons, et tout particulièrement aux Etats Unis d’Amérique, il y a dans l’industrie de l’édition, le système d’agent littéraire qui défend les intérêts de l’écrivain dans tout le processus de l’édition et de la diffusion. C’est une pratique qui avantage l’écrivain. Est ce que vous ne pensez pas à un tel système dans votre Alliance des éditeurs indépendants ?
Isabelle Bourgueil. L’Alliance a mis sur pied une cellule de soutien par le biais d’un agent qui connaît très bien les problèmes de l’édition. Il peut défendre les intérêts des uns et des autres. Il y a donc une structure de conseil, de soutien, de défense et aussi de vente des droits. Il faudrait imaginer d’autres formules. Mais il ne faut pas oublier que la question éditoriale se réglera dans le temps avec le règlement de la question des langues africaines.
Merci.
Tchaptchet Jean-Martin* jean_martint@yahoo.fr
* Ecrivain et conseiller en cooperation internationale