COMPRENDRE LES COLLECTIVITES TERRITORIALES EN HAITI Par Harry Metellus, Conseiller en Relations Industrielles

La réflexion que je souhaite conduire s’appuie sur une constatation simple : depuis une dizaine d’années les engagements internationaux associant collectivités locales et associations de solidarité se sont accrus. On voit en effet émerger, face aux états et aux acteurs privés, les collectivités locales et la société civile comme des acteurs de développement. Ce processus s’inscrit dans un mouvement plus global, selon lequel la mondialisation économique tend à écraser le rôle de l’état, pourtant envisagé comme un acteur majeur dans l’accomplissement des objectifs de développement du millénaire (ODM).
 
En Haïti, force de constater que l’État central, au lieu de s’associer aux collectivités territoriales comme partenaires de en matière de services de proximité à la population, de développement économique local, s’accapare des pouvoirs dévolus aux Collectivités Territoriales, centralise tous les services et laisse les collectivités territoriales vides de sens et de contenus. Exemple la centralisation des services de gestion des ordures par l’État central. Tâche qui est de prérogative des communes.
Les collectivités territoriales étant plus proches des citoyens, l’État haïtien a avantage à respecter l’autonomie des collectivités territoriales.
Mais dans ce cas peut-on dire que l’État central est le seul responsable ? Est-ce que les élus des collectivités Territoriales connaissent bien l’institution « Collectivités territoriales ? Comprennent-ils leurs rôles en tant qu’élus ?
 
Le texte d’aujourd’hui permettra de mieux saisir les collectivités Territoriales en termes de fondement, de pouvoirs et de gestionnaires de services et de développement économique dans les limites de la constitution et de la loi.
 
Définition Collectivités territoriales
L’expression de  « Collectivités territoriales » apparait pour la première fois en Haïti dans la Constitution de 1987. Les Collectivités territoriales sont des personnes morales de droit public distinctes de l’État et bénéficient à ce titre d’une autonomie juridique et patrimoniale. Les Collectivités Territoriales détiennent des compétences qui leur sont attribuées par la Constitution et par la loi et dont l’exercice peut être contesté en justice, notamment en matière de responsabilité civile. La Constitution de 1987 indique dans son article (61) que les Collectivités territoriales sont : la Section Communale, la Commune et le Département. La loi peut créer d’autres Collectivités Territoriales (art. 61-1).
 
caractéristiques – Les Collectivités Territoriales sont caractérisées par les éléments
suivants :

  • Une dénomination, une population, et une superficie bien délimitée du territoire national ;
  • Un Conseil et une Assemblée élus ;
  •  Des ressources propres ;
  •  Des vocations et compétences spécifiques octroyées par la Constitution et par la loi ;
  • La personnalité morale, l’autonomie administrative et financière, la libre administration.

Elles ne possèdent que des compétences administratives, ce qui leur interdit de disposer de compétences étatiques, comme édicter des lois ou des règlements autonomes,bénéficier d’attributions juridictionnelles ou de compétences propres dans la conduite de relations internationales.
 
STATUT DES COLLECTIVITES TERRITORIALES
L’ampleur du pouvoir de décision et surtout d’intervention directe des Collectivités Territoriales est déterminée par leur statut juridique centré autour de la notion depersonne morale.
Six (6) dispositions constitutionnelles instruisent directement sur le statut des Collectivités Territoriales. Ce sont :

  1. l’existence de trois (3) catégories de Collectivités Territoriales (Art.61) ;
  2. l’autonomie administrative et financière attribuée à la Commune Art 66) ;
  3. la personnalité morale octroyée au Département (Art. 77) ;
  4. la possibilité d’avoir des litiges avec l’État débattu par devant la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (Art 200-1) ;
  5. l’obligation d’obtenir le consentement des diverses catégories de Collectivités Territoriales pour l’établissement d’imposition locale (Art. 218);

La possibilité pour les Collectivités Territoriales de disposer de monopoles légaux de services publics établis dans l’intérêt exclusif de la société et qui ne peuvent être cédés à un particulier (Art 250).
 
La Constitution de 1987 attribue donc explicitement la personnalité morale au Département et implicitement à la Commune en lui conférant l’autonomie administrative et financière, qui est un des attributs de la personnalité morale. Elle prévoit aussi l’existence éventuelle de litiges entre l’État et toutes les Collectivités Territoriales et accorde à ces dernières le droit de disposer de monopoles d’intérêt public.
Par contre, la Constitution est muette sur l’autonomie et la personnalité morale de la Section Communale. Cependant, La loi du 29 mars 1996, portant sur l’Organisation de la Collectivité Territoriale de Section Communale, a, quant à elle, opté pour faire de cette dernière une Collectivité Territoriale ayant tous les attributs de la personnalité morale.
 
Le statut de « personne morale » octroyé aux Collectivités Territoriales détermine les modalités d’exercice de leurs compétences. Ces modalités concernent :

  • La plus grande autonomie des Collectivités Territoriales vis-à-vis de l’État;
  •  la gestion de leurs rapports avec l’État;
  •  la gestion des rapports entre les Collectivités Territoriales.

 
Étant donné que les Collectivités Territoriales sont dirigées par des élus directs ou indirects, le statut de << Personne morale >> qui leur est octroyé implique leur libre administration et le libre exercice de leurs compétences. Par conséquent, elles ont tous les pouvoirs d’intervention en matière de  développement économique.
 
La légitimisation des actes d’une Collectivité Territoriale, en particulier la mise en œuvre directe d’actions de développement, s’appuie ainsi sur sa vocation mais également sur la constitution de ses organes. Y-a-t-il ou non présence d’élus directs au suffrage universel dans cette Collectivité Territoriale ? De fait, la légitimité électorale établie par la présence d’élus directs dans une Collectivité Territoriale lui confère habituellement, d’office, des prérogatives décisionnelles et un pouvoir d’intervention qui ne peuvent être exercés que par une personne morale. Les Collectivités Territoriales doivent donc bénéficier de la personnalité morale pour permettre au législateur de leur attribuer des compétences opérationnelles visant la mise en œuvre directe d’actions de développement.
 
Aujourd’hui ce qu’on constate, L’État haïtien au lieu d’aller vers une décentralisation des pouvoirs comme l’exige la constitution de 1987 pose des actes qui enlèvent des pouvoirs aux collectivités territoriales. Ce qui les empêche de développer des compétences et de donner des services efficacement à la population et d’assurer pleinement leur développement.
 
Deux cas types illustrent ma réflexion.
1)      Le cas du « Service métropolitain de collecte des résidus solides, entité du Ministère de travaux publics qui assure la collecte des résidus solides des municipalités de la région métropolitaine de Port-au-Prince » traduit la velléité du pouvoir central d’enlever aux collectivités territoriales des compétences qui leurs sont attribuées par la constitution.  Alor qu’autrefois les municipalités faisaient la collecte des ordures et le nettoyage de la voirie, Le SMCRS  est aujourd’hui la seule institution étatique chargée de ramassage d’ordures en Haïti particulièrement à Port-au-Prince et ses environs.  Donc, les mairies sont à la merci de l’état. Ce qui peut avoir des conséquences imprévisibles graves pour la population en ce qui concerne sa santé et sa sécurité.
2)      Le cas de la Direction générale des Impôts. La constitution donne le droit aux collectivités territoriales d’établir un budget  de fonctionnement et de percevoir des taxes. Or ce qu’on constate, malgré cette prérogative des collectivités, c’est l’état central par le biais de la DGI qui continue à percevoir des taxes pour le compte des municipalités et qui leur redonne une partie comme bon lui semble par le  biais du Ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales. Ce qui a pour conséquence de pénaliser certaines communes comme Port-au-Prince, Delmas, Cap-Haïtien etc.
 
Cette volonté de toujours centraliser le pouvoir de la part de l’état est l’une des entorses au développement des collectivités et de l’amélioration des conditions socio-économiques des populations locales.
 
Limite de l’autonomie de décision et d’action des Collectivités Territoriales
L’autonomie de décision et d’action des Collectivités Territoriales, quelle que soit son étendue ou sa portée, ne peut s’exercer que dans le cadre de la Constitution et de la Loi.
 
Des dispositions constitutionnelles confient à la Présidence la responsabilité de veiller à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des Institutions ainsi que d’assurer le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics et donc, le mandat d’intervenir dans ce cadre au niveau des Collectivités Territoriales. La Constitution confie aussi au Premier Ministre et à chacun des Ministres la responsabilité de l’exécution des lois, attribuant ainsi au Gouvernement des responsabilités de contrôle de la légalité des actes des Collectivités Territoriales, tout en soumettant explicitement ces dernières au contrôle administratif et financier de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA), Institution Indépendante, chargée aussi de trancher les litiges entre l’État et les Collectivités Territoriales. S’agissant de Collectivités Territoriales au statut de << Personne morale >> et jouissant de la libre administration, l’application de ces dispositions a pour conséquence de donner un « caractère exceptionnel et conservatoire »aux interventions de la Présidence qui ne peuvent être prises qu’en cas de dysfonctionnement grave et dûment constaté des Collectivités Territoriales.
 
Conclusion – Haïti fait face à des problèmes socio-économiques graves qui ont des impacts négatifs sur la vie des gens en matière de santé et de sécurité sociale. Seules les initiatives locales avec l’assistance de l’état central peuvent motiver les gens à aller de l’avant avec des projets qui peuvent de sortir du cycle de pauvreté.
La réticence des responsables centraux à partager le pouvoir, le souci des gouvernements centraux de maintenir l’équilibre fiscal, et la limitation des moyens des collectivités locales ne font qu’empirer la situation des citoyens. L’une des questions importantes dans la formulation d’un cadre politique national pour le développement économique local est de trouver le juste équilibre entre  les contrôles nationaux et l’autonomie locale.