Le Salon africain du livre de Gen ?ve : D ?bats

En introduction de votre contribution au d ?bat sur la question de savoir s’il y a beaucoup d’ ?trangers dans le monde, vous nous avez dit que vous ?tes Sud-africain, n ? ? Londres parce que vos parents, militants anti-apartheid avaient migr ? en Angleterre pour continuer leur lutte. Vous nous avez inform ? que vous aviez quelque grand parent d’origine lituanienne. Vous avez conclu en disant que vous r ?sidiez actuellement ? Paris o ? vous poursuivez vos ?uvres de peintre et d’ ?crivain. Cette carte d’identit ? signifie-t-elle que vous ?tes ?tranger partout, ou bien que vous n’ ?tes ?tranger nulle part ?
Etranger partout, ou ?tranger nulle part ?International Newspapers
Bruce Clarke. Je crois que ?a signifie les deux choses ? la fois. Mais avant de r ?pondre directement ? la question, je voudrai revenir ? l’intitul ? du d ?bat qui ?tait : « Y a-t-il trop d’ ?trangers dans le monde ? » Je pourrai r ?pondre Oui, qu’il y a trop d’ ?trangers dans ce monde. Tout simplement parce que ce qu’est l’ ?tranger, c’est toujours l’autre. Tout le monde est autre par rapport ? soi-m ?me. De ce point de vue, il y a trop d’ ?trangers dans le monde. Mais si l’on commence ? dire que ce qui fait la richesse du monde, c’est que l’ ?tranger n’est ni un ennemi, ni quelqu’un qui veut nous voler, que ce soient nos biens, nos femmes, nos terres, etc., que l’ ?tranger fait partie de la communaut ? humaine, alors je r ?pondrai qu’il n’y a pas trop d’ ?trangers en ce monde, il y a juste des ?trangers dans le monde.
Quant ? ma position particuli ?re, je pourrai dire que je suis assez privil ?gi ?. J’ai plusieurs cultures dans lesquelles j’ai v ?cu, et je ne me sens mal ? l’aise dans aucune d’elles. Mais je me sens toujours un peu ?tranger dans le sens propre du mot, ? chaque culture tout simplement parce que j’ai des r ?f ?rences qui viennent d’ailleurs. Pour moi, c’est une richesse. Le probl ?me est que l’on vit dans un monde o ? le fait d’ ?tre ?tranger peut ? tout moment d ?g ?n ?rer. L’ ?tranger peut devenir celui qui est stigmatis ?, celui qui est pers ?cut ?, opprim ?, et m ?me tu ?. Donc pour eux, ce n’est pas des jeux s ?mantiques quand je parle d’ ?tranger. Il y a des sens diff ?rents de ce mot, selon les perspectives, selon les points de vue que l’on a. Et c’est l ? qu’il faut se poser la question.
Je r ?sume donc qu’on est tous ?tranger pour quelqu’un d’autre tout simplement parce que les autres sont diff ?rents de nous. Nous en Occident par exemple, on peut stigmatiser celui qui ne nous ressemble pas, celui qui croit ? autre chose que nous, on peut dire que c’est un ?tranger tout seulement parce qu’il a des papiers diff ?rents des n ?tres. Mais si nous on se d ?place, on va ailleurs, c’est nous qui devenons les ?trangers pour les autres. Si nous nous donnons le droit de stigmatiser et d’opprimer l’ ?tranger qui vient chez nous, les autres devraient avoir le m ?me droit de nous stigmatiser, de nous opprimer chez eux. Moi je ne veux pas vivre dans un monde comme celui-l ?. Il faut se d ?barrasser de cette notion d’ ?tranger ?trange.
Vous nous avez dit que vous n’aviez pas de probl ?me pour ?tre accept ? dans ces pays o ? vous ?tes pass ? ; mais que vous aviez d’autres compatriotes Sud-africains qui ?taient dans les m ?mes conditions politiques que vous, mais qui n’avaient pas cette chance d’ ?tre accept ?s comme vous. Que vouliez-vous dire par l ? ?
Bruce Clarke. J’ai des amis Sud-africains n ?s comme moi en Angleterre ou ailleurs en Europe, des amis Noirs de parents Noirs sud-africains. Ils ont m ?me le passeport du pays europ ?en dans lequel ils sont n ?s. Mais on leur dit tout le temps « Vous ?tes des ?trangers, vous ne nous ressemblez pas ». Ils sont plus renvoy ?s ? leur origine que moi qui passe partout en Europe sans ce type de probl ?me parce que j’ai la peau blanche. Ce qui importe ici c’est la couleur de la peau qui sert ? stigmatiser l’autre comme autre, comme ?tranger. On cherche toujours les signes ext ?rieurs pour identifier l’ ?tranger. Je trouve ?a terrible. On a peur de ce qui ne nous ressemble pas. Et je r ?p ?te que je ne peux pas vivre dans un monde comme celui-l ? . Car c’est la diff ?rence qui enrichit et non qui tue ou qui fait mal. Imaginez un monde dans lequel tout le monde se ressemblerait, o ? tout le monde aurait la m ?me couleur de peau, parlerait la m ?me langue, regarderait les m ?mes programmes de t ?l ?vision. Quelle tristesse.
Le d ?bat sur le th ?me de savoir s’il y avait trop d’ ?trangers dans le monde a ?volu ? pour aboutir ? la question de race. En fin de comptes, on a oubli ? les ?trangers et le d ?bat a port ? sur la question raciale et tout particuli ?rement sur les deux races noire et blanche Pourquoi ce d ?veloppement ?
Ne pas entrer dans le d ?bat de la race
Bruce Clarke A partir du moment qu’on parle d’ ?tranger, ce qui est derri ?re ce mot, et surtout en Occident, c’est l’ ?tranger qui ne nous ressemble pas. Bien s ?r, l’ ?tranger qui nous ressemble le moins, c’est celui qui a la couleur de peau « oppos ?e ? la n ?tre ». Qui est le plus diff ?rent superficiellement, ext ?rieurement ? nous. A partir du moment qu’on fait ce glissement s ?mantique, le d ?bat pose la question de race. Tout comme j’ai dit tout ? l’heure qu’il faut effacer la notion d’ ?tranger pour un monde meilleur, de m ?me, il faudrait effacer le d ?bat sur la race pour mieux vivre dans ce monde. Je ne dis pas qu’il ne faut pas contester les th ?ories sur la multiplicit ? des races humaines ; je ne dis pas qu’il faut remettre en question les g ?n ?ticiens et autres sp ?cialistes qui ont prouv ? que la notion de « race » n’a aucun fondement. Je dis qu’il faut vider le d ?bat de toute substance, ce qui veut dire qu’il ne faut pas rentrer dans le d ?bat. Car d ?s que l’on rentre dans le d ?bat, c’est comme si c’est discutable que les races existent. Mais si on ?tablit comme finalit ? que les races n’existent pas comme l’ont prouv ? les g ?n ?ticiens et autres sp ?cialistes et tout le monde l’a accept ?, il n’y aura plus besoin d’en discuter. Il y a cinq cents ans, un d ?bat avait port ? sur la question de savoir si la terre ?tait plate ou ronde. Il a ?t ? ?tabli que la terre est ronde et l’on n’en discute plus. On accepte comme une v ?rit ? ?ternelle que la terre est ronde. J’esp ?re que l’on arrivera au point o ? l’on admettra qu’il n’y a pas de races, il n’y a que des ?tres humains sur cette plan ?te.
Vous avez sorti un premier livre intitul ? « Dominations » que j’ai feuillet ?. Il contient beaucoup d’images, de photos et m ?me des reproductions de peintures, mais pas beaucoup de textes. Pourriez-vous nous dire quel est le message que vous voulez faire passer avec cette structure de votre livre ? Je crois savoir que vous ?tes par ailleurs cr ?ateur d’images, de photos et de peintures. Comment associez-vous tout ?a ?
Bruce Clarke. Dans ce livre intitul ? « Dominations », j’ai beaucoup d’images accompagn ?es de peu de textes. Mon objectif est de sugg ?rer les choses beaucoup plus que de les expliquer. J’ai r ?duit le contenu des textes et les ai limit ?s ? des r ?flexions personnelles et ? quelques r ?flexions sur le monde dans lequel le lecteur et nous tous nous vivons. Par cette fa ?on de faire, je veux laisser le lecteur sur sa faim. Je suis de l’avis que l’on ne peut pas expliquer compl ?tement ce monde, ni dans un tableau, ni dans un livre. C’est ce que j’ai fait dans ce livre, laisser le lecteur sur sa faim.
Merci beaucoup.
Tchaptchet Jean-Martin* jean_martint@yahoo.fr
* Ecrivain et conseiller en coop ?ration internationale