Des femmes leaders demandent aux Nations Unies de promouvoir le rôle des femmes dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix.

Le 27 octobre dernier, le Global Partnership pour la prévention des conflits armés, organisait en collaboration avec l’ONU, une table ronde pour présenter des recommandations sur la façon dont les Nations Unies devraient promouvoir le rôle des femmes dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix. Des femmes leaders, en provenance du Pakistan, de Géorgie, du Sri Lanka, des Philippines et de la Serbie étaient présentes. Parmi elles, Nighat, pakistanaise. Elle est une militante féministe très connue dans son pays. Elle est la co-fondatrice du Forum d’action pour les femmes et la directrice exécutive du Centre de Ressources uniquement axé sur les droits des femmes, les droits humains et les droits des personnes marginalisées. Elle est également le doyen des études à l’Institut d’études des femmes, à Lahore.
Interview :
C de L: Avez-vous été choquée, voire effrayée de constater qu’un pays comme la Tunisie a choisi d’élire un parti islamiste ?
N. K : Non, car je fais la distinction. Curieusement, et c’est intéressant, le monde arabe, du Maroc à l’Arabie Saoudite, était sous une forme de dictature, religieuse pour certains, laïque pour d’autres. D’ailleurs, beaucoup de ces pays sont toujours dirigés par un régime monarchique: le Maroc, Bahreïn, l’Arabie saoudite. Ils n’ont pas encore de structures démocratiques. Ceux qui ont été les plus exigeants en terme de révolution, sont ceux qui étaient sous des dictatures laïques : la Tunisie, l’Egypte, la Syrie, la Libye. On pourrait dire que ces peuples étaient plus ouverts en termes de droits. En fait, les dirigeants de ces pays avaient opprimé les partis musulmans, par conséquent, il n’est pas surprenant de voir des islamistes au pouvoir, puisqu’ils sont ceux qui sont devenus les mieux organisés. Les Frères musulmans en sont le parfait exemple. En Egypte, où les partis musulmans ont été interdits, ils en sont sortis renforcés. Lorsque le combat pour la démocratie a débuté, ils étaient les seuls partis politiques qui avaient les moyens de faire campagne.
C de L : Que pensez-vous de la charia ?
N.K. : La charia est une notion extrêmement compliquée. La loi islamique est interprétée différemment à l’intérieur des paramètres de l’Islam. En Tunisie, les réformes les plus libérales pour les femmes ont été basées sur la loi islamique, selon l’interprétation de la Tunisie de la loi islamique. L’Arabie Saoudite pratique une répression basée sur la loi islamique. Chaque pays a son interprétation de cette loi. Au Pakistan, nous avons une loi islamiste qui est l’une des plus libérales juridiquement pour ce qui concerne les droits des femmes. Je ne veux pas dire culturellement et socialement. Nous ne devrions pas être obsédés par la charia, même si c’est un motif de réelle préoccupation. Nous avons vu des femmes mener une lutte indépendante, démocratique, une lutte pour les droits humains. Pourtant, une fois la révolution gagnée, elles ont été renvoyées dans leurs maisons et les hommes ont pris le pouvoir. Même visuellement, regardez dans les journaux ou à la télévision, les hommes sont ceux qui sont en charge. Pas les femmes. Par conséquent, oui, il y a une vraie préoccupation au sujet des droits des femmes.
Une autre de mes préoccupations concerne la Libye. Les forces anti-Kadhafi ont été extrêmement barbares, et cela laisse à craindre pour l’avenir démocratique de la Libye. Il n’y a aucun pays au monde qui aurait accepté de faire défiler le peuple devant un corps exposé à même le sol pendant des jours. Un corps qui n’était même pas recouvert d’un drap. Les Libyens parlent de charia, mais même le Coran n’autorise pas de garder le corps pendant 3 jours. Et que penser de la mentalité de ces gens qui ont fait la queue pour voir le corps. Pour moi, cela signifie beaucoup, non seulement sur ce qu’ils pourraient faire aux femmes, mais ce qu’ils pourraient se faire les uns aux autres. Si c’est ce qu’ils considèrent comme la démocratie, si c’est ce vers quoi ils se dirigent, c’est très effrayant pour l’avenir du pays, pour la façon dont ils imaginent une Libye démocratique. Vous n’avez pas vu ce genre de sauvagerie en Tunisie ou en Égypte. Il est normal de vouloir se débarrasser d’un tyran, mais cela n’autorise personne à l’exécuter.
C de L: Il est vrai que cela n’est pas arrivé à Moubarak ou à Ben Ali, bien qu’ils aient tous deux tenté de fuir.
N. K.: Mubarak n’a pas tenté de fuir. Il sera jugé pour ses crimes. Il passera probablement le restant de ses jours en prison et il lui faudra rendre l’argent qu’il a volé au peuple. C’est un procédé légal que toute démocratie se doit de respecter.
C de L: Lorsque Kaddafi a été tué, des gouvernements démocratiques tels les Etats Unis, la France et d’autres ont exprimé leur joie de le voir mort. Puis ils ont réalisé qu’ils n’auraient peut-être pas du réagir ainsi, et ils ont demandé qu’une enquête soit diligentée. Qu’en pensez-vous ?
N. K. J’ai vu le visage d’Hillary Clinton lorsqu’elle a appris la nouvelle. Elle a dit “Oh Boy”. On voyait bien qu’elle pensait, « magnifique. Il est mort ! » Ces pays ont commencé à se sentir mal, uniquement parce que quelqu’un avait filmé son assassinat et l’a envoyé aux télévisions. Sans cela, ils n’auraient rien dit. Ils auraient continué à se réjouir bruyamment. Voyez-vous, ces pays parlent de démocratie, mais sans la vidéo, ils auraient déclaré que Kaddafi avait été tué lors d’un échange de tirs, ou que les forces de son propre camp l’avaient tué. Le problème, c’est que beaucoup de ceux qui font partie du gouvernement transitoire sont ceux qui étaient avec Kaddafi, qui le soutenaient. Tout cela leur aurait explosé à la figure si Kaddaffi avait été jugé, car ne soyons pas dupes, beaucoup de ces personnes ont pris le train en marche, bien après que le mouvement ait commencé. S’il Kaddafi n’avait pas été tué, qu’aurions-nous appris ? Combien de personnes auraient été pointées du doigt ?
C de L : Les Nations Unies sont dans beaucoup de pays où les femmes n’ont aucun droit, dont l’Afghanistan pour ne citer que celui-ci, pays où les femmes voient toujours leurs droits les plus élémentaires bafoués. Trouvez-vous normal que l’ONU se préoccupe de démocratie mais ne se soucie que peu des droits des femmes ? Ne trouvez-vous pas cela ironique ?
N.K. : L’Afghanistan a une longue histoire. Les Etats-Unis ont créé les Talibans lorsqu’ils se battaient contre l’Union Soviétique, puis les ont abandonnés. Au début, les afghans étaient heureux. Ils en avaient assez de la guerre civile qui ravageait leur pays. On voit ce que cela a donné. C’est intéressant de voir que les Etats-Unis négocient maintenant avec ces mêmes talibans. Pour en revenir aux femmes, c’est une conception fausse de dire que les Afghanes ont été opprimées seulement par les talibans. L’Afghanistan n’a jamais été une société très développée. Le pays n’a jamais eu une révolution démocratique, un mouvement indépendant, contrairement au Pakistan qui s’est battu pendant 200 ans contre les britanniques. Mais même sous l’occupation anglaise, les femmes pakistanaises avaient le droit de vote, le droit à l’héritage. L’Afghanistan n’a jamais bougé. Il vit encore comme il y a 100 ans. Imaginer que parce que le Mollah Omar est parti, les femmes afghanes vont soudainement se débarrasser de leurs burquas et se libérer est un leurre.
Célhia de Lavarène, New York, Octobre 2011